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Les bateaux de Venise
 JF Macaigne

 
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Gilberto Penzo
Gilberto PenzoIl a l’œil bleu malicieux, le front du penseur, et une barbe poivre et sel soigneusement taillée. Lui, c’est Gilberto Penzo, LE spécialiste de la construction des bateaux traditionnels de Venise, qui remontent comme chacun sait à la nuit des temps ou à peu près. Ses parents tenaient un chantier naval à Chioggia, au sud de la lagune, et le jeune Gilberto a usé ses fonds de culottes entre les coques des bateaux de rivières que construisaient les ouvriers du chantier. Dans ce temps-là, il y avait encore des bateaux à voile. Des beautés qui lui ont donné cet amour immodéré du galbe d’une coque ou de la finesse d’une étrave. Les copeaux roulaient sous les pieds, et, entre d’énormes tréteaux de bois, les hommes façonnaient les quilles, les étraves et les étambots, les couples et les bordés. Depuis, comme un Benoît de Nurcie moderne, Gilberto Penzo s’est juré de ne jamais laisser perdre tout ce savoir faire, tout cet art, toute cette connaissance si particulière du bateau vénitien. « Les livres n’existaient pas. J’ai donc été obligé de les écrire ». Ils se sont succédés les uns aux autres, emplis de cette érudition accumulée au fil des années dans les études des embarcations de la lagune. Dedans, on trouve les plans et les études d’à peu près tous les modèles de ce qui navigue entre Chioggia et Torcello.
Gilberto PenzoGilberto PenzoGilberto Penzo ne s’est pas contenté d’étudier. Il a reconstruit en modèles réduits ces barques, ces voiliers, et aussi ces bateaux modernes que l’on voit tous les jours. Avec un luxe de détails tel qu’on attend presque qu’une famille de Lilliputiens viennent manœuvrer la maquette. Elles sont (pas toutes) exposées dans sa boutique du quartier San Polo, et font les délices des passants qui contemplent la vitrine pendant de longues minutes. Un rêve de petit garçon. A l’intérieur, le maître enseigne à des étudiants venus de l’Université l’art de l’étrave et de la contre étrave sur ordinateur, le gabarit sur le bureau. Le magasin, tout comme son atelier deux rues plus loin, fourmille de pièces de bois, de poulies anciennes, de maquettes de barques anciennes et de vaporetti, de plans, et bien sûr, de livres. Penzo, une forcola* en bois d’olivier à la main, reçoit des clients venus du monde entier pour lui rendre hommage ou lui passer commande. Il est intarissable sur le sujet.
« Savez-vous pourquoi les gondoles sont noires ? On a écrit tellement de bêtises là dessus. Dans les temps anciens, tous les bateaux étaient noirs. Ceux qui étaient peints en couleur ne sortaient presque jamais. Ils étaient réservés aux festivités. Les bateaux étaient noirs à cause du goudron pour l’étanchéité. »
J’avoue mon ignorance sur le sujet. Cela paraît logique, toutefois. J’étais persuadé que les gondoliers avaient repeint leurs fameux bateaux en souvenir d’une épidémie de peste plus virulente que les autres. Encore une légende qui disparaît. Il continue : « Le premier vaporetto était français ! »
Là, je suis quand même estomaqué, et je hausse un sourcil, prudent. « Ah bon ? »
Le « Regina Margherita » est venu de Nantes, où il a été construit, le 27 avril 1881, suivi par cinq autres. Il ont tous longé les côtes, puis emprunté le Canal du Languedoc (Canal du Midi), et ont ensuite fait le tour de la botte italienne en longeant derechef les côtes. Leur arrivée a déclenché chez les gondoliers un mouvement de protestation. »
Plutôt fier de savoir désormais que le premier vapeur de tourisme à fréquenter de façon régulière le Grand Canal avait été construit à Nantes, je suis suspendu aux lèvres de Gilberto Penzo qui continue à nourrir ma curiosité sur les bateaux vénitiens. Ce vaporetto désuet, aux sièges en osier sous un auvent blanc, avec une grosse cheminée noire qui grimpait depuis les machines en plein milieu du pont fait penser à son contemporain l’omnibus Madeleine-Bastille, et aux belles à crinolines.

*Pièce de bois si particulière, véritable sculpture, qui permet au Vénitien de manœuvrer la rame de sa gondole ou de son sandolo.

Cet article est paru dans le magazine FLUVIAL n°196, en octobre 2009.
Vous pouvez l'obtenir en cliquant ici

 
   
Texte & photos : © JF Macaigne