Il y avait Marcel le chanteur, proviseur adjoint,
Bernard le barreur à barbe
blanche, pharmacien, Robert l’autre barreur, retraité EDF,
Michel le rameur, Président de l’Office du Tourisme, Didier
le rameur, Maire adjoint, et tous les autres, heureux d’être
là, de partager un moment et leurs émotions avec ceux venus
d’ailleurs. Tous criaient « hourrah » pour
les gabariers, et les autres avec. Tous enchantent l’été et
font revivre un rêve en bois de chêne.
C’est un courpet (1) de
haute Dordogne, sur les quais d’Argentat, dans le beau pays de
Corrèze. En juillet et août, tous les mardis, gratuitement,
sans rien demander d’autre que des sourires et des oreilles attentives
aux histoires d’autrefois, ces hommes font renaître un bateau
mythique ; un de ceux qui, en période de crue, à l’eau
marchande, selon l’expression, descendaient jusqu’à Bergerac
le bois de merrain et les planches de chêne pour fabriquer les
tonneaux, ainsi que les piquets de vigne, les châtaignes et les
fromages pour ceux d’en bas de la rivière. A l’époque,
descendre prenait cinq ou six jours par beau temps. Arrivée à Bergerac,
la gabare était déchirée(2) ,
parce qu’il était impossible de lui faire remonter le courant.
Les gabariers revenaient à pied chez eux. Cela prenait deux semaines.
Par beau temps aussi.
Dire que le bateau était rustique est un euphémisme. Certains
couples ne sont que des morceaux de tronc avec un bout de branche, cloués
ou agrafés sur les bordés et à la sole, la semelle
du bateau. La poupe est plus relevée que la proue (1,96m à l’arrière
contre 1,08m à l’avant), et traversée par une cheville, lou
poujade, qui sert de point d’appui à l’immense
aviron de gouverne, manœuvré depuis un pont surélevé,
en arrière du chargement. Le bateau d’environ 14 mètres
pèse 9 tonnes à vide et 20 chargé, lorsque l’eau
arrive à environ 10cm du bord. Pour le manœuvrer, outre
l’homme de gouvernail, deux rameurs et un marin. Lors des manœuvres,
le barreur danse sur son pont, presque des génuflexions, et la
grande rame saute hors de l’eau comme un dauphin joyeux, en éclaboussant
l’eau sous le soleil.
L’ère des gabares et des courpets a débuté vers
l’an 700, et s’est achevée vers 1930. Plus de douze
siècles de navigation fluviale n’a pas enlevé aux
hommes le désir de rencontrer les autres. A Argentat, on sait
faire vivre ses souvenirs.
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Fluvial
n°195
(1) Vient de « courbé ».
Le bateau a en effet une forme courbée, de la proue à la
poupe.
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