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Sur les eaux du Nil

Pendant le dessert, un bruit de chaînes énorme que n’aurait pas désavoué Hamlet lui-même nous fait dresser l’oreille. C’est la passerelle qui remonte. Ça y est. Nous partons.
Tout le monde grimpe sur le pont supérieur. La sortie à l’air ambiant est surprenante (c’est un euphémisme) venant de l’air conditionné des salles du bateau. Mais on s’y habitue vite et on y prend même plaisir, grâce à une petite brise légère qui nous accompagnera tout au long du chemin.
Lentement, à contre-courant, nous remontons le cours du fleuve. A l’ouest, des champs inondés bordent la rive. J’imagine l’Egypte au temps des inondations, inexorables comme le destin. Je vois presque les familles qui se rendaient visite en barque. Une sorte de Venise antique à l’échelle d’un pays…
Plus loin, un pont se présente. Sur ses piliers, des peintures « à l’ancienne » de danseuses et de joueuses de harpe nous saluent. C’est l’Egypte ancienne qui nous accueille.
Nous arrivons à un embranchement. A gauche, un village de maisons en briques de terre crue est tassé sous le soleil. Rien ne change. Ou si peu. Devant, une île se présente et sépare le fleuve en deux. Un peu comme un pubis verdoyant et palmifère posé sur les eaux.
La lenteur repose. Ici, rien ne presse. Tout est sujet à la réflexion. La chaleur, qui au début me paraissait étouffante, me rassure plutôt. C’est une sorte de cocon bienfaisant et doux.La torpeur m’envahit doucement et je rêve, bercé par le bruit des vaguelettes de l’étrave et les reflets du soleil qui dansent sur l’eau. C’est le genre de moment où l’on deviendrait volontiers fumeur de pipe. Un calme suave et délicieux, bercé par une petite brise qui fait flotter la chemise sur le corps.

Sur la berge, un enfant solitaire traîne son ennui et sa galabieh grise et sale. Il siffle pour nous saluer. J’imagine qu’il doit voir passer quelques dizaines de bateaux comme le notre par jour, lui et ses copains. Mais c’est toujours les mêmes signes d’amitié et de bienvenue. Ce peuple est bienheureux où les enfants savent aimer l’étranger.


Des pêcheurs sur de petites barques plates frappent l’eau avec de longues perches, celles-là même qui leur servent à faire avancer leur esquif. Ils effraient le poisson qui va se perdre dans des filets cachés plus loin.Ils chantent et se hèlent. Les siècles ne changent rien aux hommes, ici. Le geste est magnifique, ample, ancestral, symbolique.
Au milieu du fleuve, des bouées s’enfoncent au passage du bateau, et on se prend à imaginer lorsque ces silhouettes noires étaient vivantes et étaient nommées « chevaux du fleuve ». Il y a très longtemps, les hippopotames dérangeaient le pharaon Hyksos Atopi à Memphis, des centaines de kilomètres plus au nord. C’est la raison pour laquelle le roi de Thèbes, Sekenenré lui déclara la guerre et entreprit la reconquête. La goutte d’eau qui faisait déborder le vase. A quoi tiennent les choses…
Sur la rive ouest, un village apparaît. Un four à brique noir de suie crache sa fumée comme une locomotive ancienne. Même méthode, autres temps. D’ailleurs, trois maisons plus loin, une masure arbore une parabole flambant neuve. Une sorte d’anachronisme à rebours.
De petits ibis blancs, sortes de dieux Thot en miniature, viennent ponctuer l’eau de taches mouvantes et joyeuses.
Un minaret mince et doré se dresse soudain au milieu des palmiers royaux. C’est un petit village noyé au milieu du vert, dont les maisons se confondent avec la terre ocre des berges.
Dattiers, tamaris, roseaux se mêlent en une symphonie grandiose.C’est un régal pour les yeux. Tant de paix, tant de beau, tant d’exubérance dans la chlorophylle font oublier que le désert n’est qu’à un jet de pierre. Sur le pont deux amoureux se tiennent par la hanche et déambulent, étonnés par tant de bonheur.
Nous croisons soudain un âne qui nous salue à sa manière, en brayant si fort qu’il doit s’entendre jusqu’au Caire. Il me tire de mes pensées, et je replonge dans la vie réelle.
17h, c’est l’heure du thé. L’équipage le sert à la façon britannique, avec des petits gâteaux, et un soupçon de lait dans un petit pot. Les Egyptiens se sous libérés du joug britannique, mais ils ont eu la sagesse d’en garder les meilleures choses, dont le thé et le 5 o’clock tea…
Sur le pont, à coté de la piscine (pour les enfants, surtout, vu la taille…), les tasses s’alignent sur le comptoir du petit bar. Thé, café, gâteaux anglais, on se croirait dans un salon pas très loin d’Oxford Street. Les conversations se nouent, on fait connaissance un peu pendant cette après-midi de navigation, et le groupe se soude petit à petit. De fait, nous ne sommes pas nombreux sur le bateau ; Un autre groupe de vacanciers, qui, eux, ne sont pas de « la famille royale », font aussi partie du voyage. Nous les regardons avec curiosité, et curieusement ne leur adressons pas ou peu la parole. Chacun chez soi.

Cette première journée s’étire lentement. Nous croisons de petites embarcations minuscules, qui descendent ou remontent le long des rives.Tout le monde semble un peu endormi, somnolent. L’après-midi s’achève sur un coucher de soleil rose-orangé, qui fait contraste avec le vert du fleuve. Les ibis rentrent chez eux, les berges se peuplent, les hommes discutent, les femmes se hâtent avec d’innombrables paquets et ballots, les enfants jouent…
Il est l’heure d’aller se préparer pour le dîner. En ouvrant la porte de la cabine, surprise ! Un étrange animal nous attend sur le lit, confectionné avec minutie avec les serviettes de la salle de bain par le steward qui s’occupe de nous. Tous les jours, nous aurons droit à un nouveau pliage, à une nouvelle invention. Quel talent !
La douche est chaude et voluptueuse, et nous choisissons notre tenue pour le dîner. En vacances peut-être, mais élégants, sûrement…
Pendant le dîner, les groupes de l’après-midi se reforment, mais les tablées se parlent entre elles, et en fin de compte, nous sommes bien une sorte de famille – royale, bien sûr !
Le buffet, égyptien, est un vrai régal, et j’en vois qui sont surpris.
« Qu’est-ce-que c’est ?
- Du homos. De la purée de pois chiche. »
Inquiets, puis surpris, puis ravis…
« Attention aux légumes ! il vaut mieux ne manger que ce qui n’a pas été en contact avec l’eau. Les amibes de mes amibes sont mes amibes (vieille plaisanterie coloniale).
- Et les fruits ?
- Pas de problème si vous les pelez, sinon, préférez les pâtisseries »
Les desserts sont orientaux. C’est-à-dire sucrés, crémeux, mielleux, et délicieux. Orientaux, quoi. Pas vraiment bons pour la ligne, mais tellement tentants. Après tout, c’est les vacances…
A table, pas de vin, trop cher (il y en a pour ceux qui veulent). Tout le monde est à l’eau ou à la bière. Et finalement, on s’y fait plutôt bien.
Nous arrivons à l’écluse d’Esnah. Il va falloir attendre, car nous ne sommes pas le seul bateau à faire le trajet. Les curieux, dont je fais partie, montent sur le pont, pour voir… C’est fou ce qu’une écluse égyptienne ressemble à une écluse française ! En plus, avec l’abondance de lumière, on ne voit pas les étoiles. Autant aller se coucher…

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Edfou et le Djebel Silsilé