Les
joies du "All Inclusive"
L’un
des grands progrès de notre époque est la faculté
que nous avons désormais de nous rendre quasiment n’importe
où sur cette belle planète en un rien de temps, et de résider
tous ensemble dans des hôtels surdimensionnés pour profiter
simultanément de l’endroit et des joies des vacances. Pour
que la joie soit complète, dès son arrivée, le vacancier
se fera attacher au poignet un petit bracelet de plastique de couleur,
lui conférant un statut à part. Dès lors, il peut,
dans l’enceinte de l’hôtel, manger ou boire autant qu’il
veut, participer à certains sports, etc…
On peut être rassuré : les boissons servies peuvent être
certes alcoolisées, mais il va falloir en consommer un certain
nombre pour arriver à ébriété. J’ai
beau chercher dans mes souvenirs, je n’ai jamais vu de client aviné
au bord de la piscine, ou tellement saoul qu’il lui devient difficile
d’insérer sa carte plastique dans la serrure de sa chambre.
Il est vrai qu’en vacances, j’ai pour habitude de me coucher
(relativement) tôt, ne serait-ce que pour profiter le lendemain
des diverses réjouissances à mon programme (voir plus bas).
Si par hasard, vous aviez un souci de ce côté-là,
demandez le lendemain matin à votre barman favori une « bomba ». Il vous servira le breuvage avec un air entendu, et tout devrait
rentrer dans l’ordre. Mais ne recommencez pas, vous n’êtes
pas là pour ça.
En
fait, le côté pervers de la formule se manifeste autrement.
De façon plus insidieuse.
Convaincu que tout est gratuit, et que donc, tout lui est dû, un
certain nombre d’estivants va mettre en place un plan d’attaque
destiné à éliminer rapidement le maillon faible,
et à s’attribuer le meilleur des vacances pour soi-même,
fut-ce au détriment du copain d’à côté.
Tout d’abord, se nourrir.
On en a autant qu’on en veut, donc, au buffet, il est impératif
de remplir son assiette à ras bord, de préférence
en entassant la nourriture le plus haut possible. Les yeux du personnel
local sont d’abord étonnés, puis dégoûtés,
enfin franchement hostiles, et personne ne les en blâmera. Une seule
assiette de certains pourrait nourrir une famille entière…
Bien sûr, pas un de ces goinfres ne finit son plat, ce qui destine
les aliments à la poubelle. Avouez que dans des pays où
une bonne partie de la population vit en dessous du seuil de pauvreté,
la pilule est un tantinet amère. Je ne parle évidemment
pas des autres vacanciers, ceux qui arrivent après. Les voraces
sont là à l’ouverture du premier service. On ne sait
jamais, des fois qu’il n’y en ait pas assez… pour eux.
Les autres n’ont qu’à se débrouiller.
Il
y a cependant des règles que chacun doit s’efforcer de suivre,
s’il veut profiter pleinement de ses vacances, et survivre dans
l’enfer du « all inclusive ».
Tout d’abord la tactique des chaises longues. Il faut « réserver
», marquer son territoire, en quelque sorte, le plus tôt possible
le matin, au lever du soleil, et même un peu avant. On dépose
une serviette sur la chaise longue, avec une poignée de magazines
ou encore les jouets du petit, et on fait quelques prières pour
que personne ne vienne enlever ces menues traces. Les Allemands sont champions
en ce domaine. Certains se faufilent même à la nuit tombée
parmi les palmiers pour être bien sûr d’avoir sa paillote
ou son transat tout à soi pour toute la journée. Une fois
l’endroit « marqué », on peut aller se recoucher,
ou prendre le petit-déjeuner, mais revenir très tard dans
la matinée est très mal vu. Vous risquez le lendemain de
ne rien retrouver si vous réitérez l’opération.
Tout
ceci a quand même un avantage : vous verrez le soleil se lever,
et ça, c’est inoubliable.
En tout cas, le spectacle des nouveaux arrivants vaut le déplacement.
Imaginez la scène : il est 10 heures. On voit un homme arriver,
les mollets tout blancs, l’air hébété de
celui qui n’a pas encore récupéré de son
décalage
horaire. Il cherche une chaise longue vacante. Plage de l'J’ai
dit vacante, pas vide. Nuance. La plupart sont vides avec une serviette
dessus. Il s’arrête, tourne sur lui-même en tout sens,
en s’interrogeant. Est-ce le bon coin ? Devrais-je aller plus
près
de la mer ? Finalement, il repart d’où il avait surgi et
se perd dans la palmeraie et le dédale des paillotes.
Un autre arrive. Il est perdu. Il est venu ce matin, mais a oublié
où. Il erre de paillote en paillote. Elle se ressemble toutes,
on dirait une rue de la banlieue londonienne. Regards à gauche,
regards à droite. Ce n’est pas encore la panique, mais on
s’y achemine doucement. Soudain, une lueur de triomphe et un sourire
éclairent son visage. Il a retrouvé sa tribu. C’est
généralement à ce moment que les remontrances arrivent.
Madame est arrivée bien plus tôt avec les bambins pendant
que monsieur s’est recouché, exténué par l’effort.
« On n’a pas notre paillote habituelle. On n’a même
pas vue sur la mer ! »… Je vous jure que j’ai entendu
la réflexion. Vous imaginez la suite de la matinée…
Les
conversations s’engagent. Il y a ceux qui parlent fort… J’ai
entendu un jour une grosse dame conter par le menu à ses voisins
ses ennuis intestinaux de la veille.
Le spectacle continue. Vers midi, c’est la danse du sable chaud.
Très marrant. On peut participer, si on n’a pas pris ses
sandales. Les empreintes des pieds nus mouillés dessinent des formes
inattendues et surréalistes sur les planches autour des restaurants.
De temps à autre surgit un hélico qui fait du rase motte
à vingt mètres de la plage. On se croirait dans «
Apocalypse now »…
Aux divers restaurants thématiques de l’hôtel, essayez
de réserver dès votre arrivée la date à laquelle
vous viendrez dîner. Le plus tôt sera le mieux. Je me pose
encore la question de savoir comment font ceux qui ne restent que huit
jours. D’une année sur l’autre, peut-être…
Certains de ces endroits de rêve sont aussi des paradis pour les
moustiques, qui y vivent, eux, toute l’année. Ils connaissent
les petits trucs et vous attendent. Pour s’en convaincre, il suffit
de constater la taille énorme, voire gigantesque de ces insectes.
De véritables bombardiers furtifs. Les hôtels ont un service
spécialement affecté à ce type de nuisance : un employé
en combinaison et masque à gaz parcours les jardins et les bungalows
en pulvérisant un produit qui abattrait raide un frelon mutant.
Evitez donc de revenir inopinément dans votre habitation à
l’heure de la démoustication. Vous risquez gros.
Lorsqu’il
pleut le matin, pas de jugement hâtif. Il est fort probable que
l’après–midi sera très ensoleillé.
Ou alors, c’est une dépression tropicale (le temps est
sujet, lui aussi, à ce genre de maladie nerveuse), et là,
prenez votre mal en patience, cela peut durer plusieurs jours. C’est
peut-être
le moment de faire les courses. Ils ont de très jolis parapluies
pas cher à St-Domingue… Vous pouvez aussi écrire
les cartes postales. Evitez
de les envoyer. Ramenez-les avec vous comme preuve. Les postes dominicaines
sont aux communications ce que le monstre du Loch Ness est à l’Ecosse.
Tout le monde sait qu’il existe, mais personne ne l’a
jamais vu. Personnellement, je n’ai jamais vu un camion postal.
Et la seule boîte aux lettres que je connaisse se trouve en
bas du ministère.
Je termine cette petite revue par deux ou trois détails : attention
au contrôle des changes. Un fois les pesos acquis, on ne peut plus
les rechanger. Parcimonie, donc.
Négociez les prix partout. Je dis bien partout, quitte à
passer pour un peu lourdaud. Et de toute manière, qui ne tente
rien n’a rien.
Enfin, attention aussi aux sabots pour cartes de crédit. Une erreur
est si vite arrivée…
Bonnes vacances !
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