Une étoile d’or en plein jour

Pour rejoindre le lac de Sainte-Croix, nous avons pris le chemin des écoliers. Depuis Gréoux-les-Bains, la D952 s’enfonce dans des paysages de lavandes, d’élevages de chevaux, de collines sauvages et boisées, et prend la direction de Moustiers.

On traverse quelques villages, dont Allemagne en Provence, où le superbe château témoigne de la richesse historique de ce petit bourg. Le gros donjon carré à créneaux du XIIe fut agrémenté à partir de 1495 d’une aile renaissance élégante et raffinée par François de Castellane, dont la famille posséda le site entre 1218 et 1718. Il se visite, et permet de découvrir les nombreux faits d’armes reliés au château. Les avis sont partagés concernant la provenance du patronyme étonnant du village, les uns penchant pour un peuplement du site à l’origine par une tribu d’Alamans, des Germains originaires du centre de l’Europe (aujourd’hui la Suisse), d’autres pour une étymologie évoquant la déesse de la fertilité Alemona.

  

Au carrefour de Riez, on continue tout droit vers Moustiers-Sainte-Marie, à travers des champs de lavande que l’on a envie de caresser de la main, quelques très étonnants et beaux champs de cailloux plantés de chênes, avec en toile de fond les montagnes des Alpes de Haute-Provence.

En atteignant Moustiers, on est saisi par la force qui se dégage de ce rocher gigantesque qui surplombe le village, tassé autour d’un pont sur l’Adou. Dans le creux formé par le petit torrent, une sorte de petite forêt vierge pousse, les racines généreusement arrosées. Au-dessus, accrochée à une chaine tendue entre les deux pans de rocher, une étoile d’or scintille en plein jour. D’après la légende contée par Frédéric Mistral, elle serait le vœu fait à la Vierge en 1210 par un chevalier prisonnier pendant les croisades s’il rentrait un jour dans son pays. D’après d’autres, elle aurait été promise sensiblement à la même époque par l’ainé des frères Blacas, originaires de Moustiers, pendant le siège de Damiette, en Egypte (1249). Depuis plus de 800 ans, le mystère demeure, et l’étoile perdure (c’est la 11e), et donne au village des airs de crèche de Noël.

Une petite chapelle de pierre est agrippée sur le versant gauche de la montagne. Il faut gravir 262 marches pour la rejoindre, et la plupart des touristes reste sagement en bas. D’autant plus que l’on découvre tellement de choses dans les rues de Moustiers : les fontaines, par exemple. Il y en a beaucoup, où autrefois les hommes et les bêtes partageaient l’eau potable. On ne voit plus beaucoup d’animaux, mais l’eau fraiche est manifestement toujours potable… Des ruelles serpentent entre les maisons peintes, et partout des feuillages décorent les façades. En haut du village, la ravissante église romane Notre-Dame de l’Assomption dresse son clocher carré du XIIe siècle. Dans cet écrin, on peut admirer l’autel, fait d’un sarcophage en marbre du IVe dont la sculpture représente le passage de la mer rouge. L’été, la foule envahit les rues et se presse dans les boutiques qui vendent la célébrissime faïence de Moustiers. Il peut alors être difficile de circuler, mais le décor est toujours aussi séduisant. On se faufile entre les murs roses, sous les porches, et ce qu’en d’autres lieux on nommerait traboules.

Après la visite, s’il reste un peu de temps, il est possible de faire quelques kilomètres de plus et d’aller admirer l’impressionnante sortie du Verdon de ses gorges au pont du Galetas. On est alors à la porte du lac de Sainte-Croix, le 4ème de France : 22km2, et 93 m de profondeur.

La Faïence de Moustiers

Jusqu’à la fin du XVIIe on fabriquait des plats et des objets en terre vernissée, puis Pierre Clerissy, issu d’une longue lignée de potiers, fonda le premier atelier de faïence à Moustier. Le mot faïence vient de Faenza, en Italie, connue dès la Renaissance pour sa céramique. L’argile provient des gorges du Verdon, et les torrents alentours fournissent l’eau pour la laver. Elle est ensuite façonnée, sur un tour (le tournage), puis interviennent le moulage, l’estampage, sur une forme en plâtre, et une première cuisson, qui révèle le « biscuit ». Celui-ci est alors plongé dans un bain d’émail, puis décoré au pinceau, et recuit pour fixer l’émail et la décoration. Cette minutie exclut toute fabrication industrielle. « C’est Louis XIV qui assura le succès de la faïence en faisant fondre la vaisselle royale d’or et d’argent pour financer le trésor royal. Versailles acheta alors de la faïence, et fut aussitôt imité par toutes les cours d’Europe », nous explique Isabelle Bondil, des Ateliers Bondil, labellisés « Entreprise du Patrimoine Vivant » depuis 2011. « Cet engouement dura pendant près de 2 siècles, jusque vers la moitié du XIXe. S’ensuivit une période d’oubli, qui ne cessa que dans les années 1930.

Mes parents, Reine et Jean-Pierre Bondil, créèrent en 1980 les Ateliers Bondil, pour perpétuer l’idée d’excellence de la faïence de Moustier. Mon frère Jean-Pierre et moi-même avons repris le flambeau, en nous attachant à cette idée d’exigence, de qualité, de bon goût qui perpétue cet héritage artistique des grands maître faïenciers des XVIIe et XVIIe siècle ». En effet, des magasins proposent vaisselle et objets décoratifs, mais tous ne sont pas du « vrai Moustier ». Les objets, à l’instar de ce qui se passe à Murano pour le verre, proviennent d’Asie du sud-est, et ne possèdent pas la même qualité, le même fini. Il est donc essentiel d’ouvrir l’œil.

Ateliers Bondil – Place de l’Eglise, Moustiers – Tél : 04 92 74 67 02 – www.faiencebondil.fr

Atelier St Michel - Le Cloître (Michelle Thiery) –
Place du Presbytère – Tel 04 92 74 62 03