Après Montureux-les-Baulay, la Petite Saône semble prise
d’une sorte de frénésie. Elle virevolte comme une
danseuse de flamenco entre les champs de maïs. On passe Cendrecourt,
où les hirondelles s’amusent à faire des portées
musicales sur les fils électriques, et on arrive à Ormoy,
dernière écluse avant Corre et l’entrée du
canal de l’Est. C’est encore un joli clocher qu’on
aperçoit, et un vieux lavoir de pierre au bord de la rivière.
Les enfants jouent sur la berge dont l’herbe est taillée à l’anglaise.
Il ne manque plus que la Mère Denis !…
A Corre, prenez l’embranchement sur votre gauche si vous désirez
faire halte à la marina. Vous y serez au calme. Le tour du village
est assez rapidement bouclé, et ne cherchez pas le supermarché.
Il a brûlé, et au moment où j’écris
ces lignes, rien n’indique que quiconque soit disposé à le
reconstruire.
Pendant une longue période, Corre fut un sujet de discorde entre
la France et la Lorraine, et on y a découvert de nombreuses stèles
funéraires, ainsi que des fragments de statues qui attestent de
l’ancienneté de l’occupation du lieu. Tout ces vestiges
sont au musée de Vesoul.
Il n’en reste pas moins que Corre est une halte agréable
et calme. Si vous ne vous arrêtez pas à la marina, vous
avez aussi la possibilité d’amarrer au quai juste avant
le pont, après le passage de l’écluse. Vous y trouverez
eau et électricité, juste à côté d’un
parc assez étrange, aux étonnantes statues d’animaux.
On y aperçoit aussi une petite chapelle ou un tombeau, dont les
murs sont sculptées de scènes d’animaux chassant
des serpents. Une atmosphère bizarre se dégage du lieu,
comme s’il sortait tout droit d’un film fantastique.
On pénètre dans le Canal de l’Est par l’écluse
de Corre, surveillée depuis une petite maisonnette rose, sous
une passerelle en fer bleue du plus bel effet.
De Corre à Selles, c’est une balade nautique quasiment solitaire.
L’affluence du canal du Midi paraît être sur une autre
planète. Ici, silence, harmonie, beauté des grands arbres
verts et effet miroir des eaux du canal. La glisse est voluptueuse… Lignes
droites et sous-bois se succèdent, semées de petites écluses
campagnardes.
Si jamais vous décidez de jeter l’haussière à Selles,
ou de vous lancer dans l’étude de son pont tournant (fin
XIXe, classé monument historique – si je vous dis tout,
vous n’aurez plus rien à étudier), faites un petit
effort : à quelques kilomètres, on visite à Passavant-la-Rochère
la plus ancienne verrerie d’art de France, fondée au XVe
siècle par Simon de Thysac. C’est probablement l’aussi
l’une des plus anciennes au monde. Elle est toujours en activité,
et l’on peut observer le verre en fusion et le travail des souffleurs.
Dans
l’écluse de Selles, la pierre des bajoyers est usée
par les amarres de ceux qui se sont succédés ici depuis
si longtemps. Les nostalgiques des temps anciens caresseront les arrondis
du quai, et rêveront aux bateaux de jadis : mignoles, penelles,
toues, cadoles…
Décidément, il n’y a pas un chat, et c’est
un vrai régal d’avoir le canal pour nous seuls. Entre deux
fronts d’arbres, sur un canal lisse comme une peau de jeune fille,
l’étrave du bateau fend l’onde à la manière
d’un sabre japonais. A tour de rôle, chacun va passer quelques
minutes au-dessus de l’étrave, au dessus du guindeau. L’effet
est saisissant, et un peu hypnotique. C’est magique.
Nous arrivons
au terme de notre escapade : Fontenoy-le-Château. |