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Petit matin. Burano s’éveille, avec la gueule de bois de
celle qui a trop hurlé ses couleurs le jour d’avant. Sur
un bleu incertain, un canot solitaire s’éloigne entre les bricole vers
San Michele, l’île des morts, dont les cyprès découpent
l’horizon.
C’est dimanche et les touristes ne sont pas encore arrivés.
Les Buranelli sont à la messe. La lessive sèche
sur les cordes aux fenêtres et entre les murs. Pas de pudeur, ni
pour les vêtements, ni pour les couleurs. Les peintures vives délimitent
les propriétés. On sait ainsi où commence celle
du voisin.
Midi arrive soudain. Les fidèles sortent, leur ombre au plus court,
les pêcheurs rentrent, heureux, et la famille se recrée,
dominicale.
La lumière décline enfin, et avec elle la chaleur. On parle,
on échange, on regarde, on engrange pour la semaine.
Et le soir vient, effaçant petit à petit les
jeux des enfants.
C’est enfin Burano fantôme, quand les lampadaires
blafards éclairent à peine
l’eau noire du canal. Un dernier restaurant tardif peine à fermer
sur une fondamenta déserte seulement habitée par
le clapot des bateaux qui s’endorment. Quelques groupes encore,
qui impriment à peine une image fugace sur les murs, comme si
leur transparence les fondaient définitivement dans un paysage à la
Toffoli.
La lumière est verte, teinte les quais. Dans le ciel
un campanile de guingois troue l’obscurité de sa flèche
orange. C’est la nuit. Burano s’endort. Les façades
deviennent cadavres de couleur, et doucement s’enfoncent dans les
eaux tièdes des rii. |