|
La Saône
 La
Saône est un trait d’union entre Bourgogne et Bresse,
mais c’est également le lien entre les voies navigables
du Sud de la France et celles du Nord. Grâce à elle, on
passe du Rhône à la Marne, et aux canaux qui s’enfoncent
dans le Centre, la Bourgogne, et plus loin la Seine et la Somme. Cela étant
dit, naviguer sur la Saône en petit bateau n’a aucun rapport
avec l’excitation que l’on peut ressentir en participant
au rallye de Monte Carlo. A bord, c’est l’ambiance palpitante
et débridée d’une huître dansant le slow un
jour de calme plat. La rivière est large, grande, et plate. Je
me répète, c’est vrai, mais les mots me manquent.
Le vent est tombé, et nous avançons inexorablement entre
des champs de maïs et des boqueteaux indéfinissables. Le
ciel est, par esprit de contradiction, somptueux. De longues traînées
de nuages sombres comme des âmes grises s’étirent
au-dessus de la campagne et prennent des formes titanesques.
Sur l’eau, l’ambiance est trépidante. Tiens !
Un pont ! Nous comptons les points kilométriques inscrits
sur des poteaux le long de la rive droite. La rivière prend des
petits airs de lac polonais. C’est l’heure du thé et
des gâteaux sur le pont supérieur. Tant qu’à faire
cosy, autant faire ça jusqu’au bout. L’avantage, lorsqu’on
voyage fluvial, c’est que l’on découvre les spécialités
locales. Les petits gâteaux de la Tartelière de Chalon sont
vraiment excellents !
 Sur
la berge, un homme entraîne ses labradors pour les prochains
championnats du monde de lancer de branche ou de baballe en mousse. D’ici,
on ne voit pas, mais on fait confiance. Il n’y a pas foule. Cela
fait une heure que l’on a croisé personne. Histoire de me
contredire, voici un pécheur dans une barque. Il s’éloigne
en ramant, sans but manifeste.
Les balises ressemblent à d’énorme sucres d’orge
plantés dans l’eau. Au loin, un nouveau pont. Derrière
se profile la silhouette blanche d’un paquebot de ligne. Mes yeux
me jouent des tours. Ce doit être tout ce temps passé à essayer
de voir quelque chose. Et pourtant. Plus on s’approche, plus ça
y ressemble. C’est le Van Gogh.110
mètres de long pour
11 mètres de large.Notre Pénichette® tiendrait presque
dans sa largeur…Il remonte la Saône en sens inverse. Sur
le pont, les mains s’agitent. Gulliver regardant les Lilliputiens.
Bon voyage !
Au passage, nous prenons une leçon de rock n’roll…
Nous arrivons à l’ancienne écluse du barrage de Grigny,
qu’un Allemand astucieux et sympathique a transformé en
marina, avec eau, électricité, etc, à l’abris
du clapot de la rivière. Il y a même un petit restaurant,
mais nous avons hâte de déguster ce qui va avec les odeurs
délicieuses qui sortent de la cuisine.
Nous passerons une nuit de loirs fatigués, alors que l’exercice
n’a pas vraiment été notre actualité. Comme
quoi, le silence, ça compte aussi. Cerise sur le gâteau,
la boulangère voisine passe tous les matins avec le pain et les
croissants chauds vers huit heures et demi. Que demande le peuple ?
A
une grosse heure de là est Tournus, où se
trouvent le restaurant Greuze et l’église Saint Philibert. Ça
fait beaucoup pour une petite ville.
En attendant il faut franchir l’écluse d’Ormes,
prévue pour les grosses unités comme celle que l’on
a croisé hier. C’est la seule de notre trajet sur la Saône,
mais elle rattrape la quantité par la qualité : 12m
de large et 185m de long. On s’y sent un peu seul. Tout le monde
est prié de revêtir son gilet de sauvetage, bien plus seyant
que les fameux gilets jaunes fluo vantés par Karl Lagerfeld. Nous
avançons doucement, et une voix tombe d’en haut, avec un
peu d’écho, comme si Dieu le père s’adressait
enfin à nous.
« Stop ! ».
Laconique. Ce ne doit pas être Lui.
La voix est tombé de la tour de contrôle, tout là-haut.
L’éclusier agite la main et nous fait bonjour. Ça
ne doit pas être rigolo tous les jours, de passer ses journées
seul dans sa cage de verre, à une dizaine de mètres au-dessus
des flots… En un temps record, nous descendons le long des parois,
sans aucun remous. Finalement, l’écluse de Crissey était
plus impressionnante.
Tournus (on
ne prononce pas le « s ») était
une cité des Eduens, l’une des composantes du peuple Gaulois.
C’est la porte d’entrée de la Bourgogne, mais aussi quelque
part sa sortie. Le Maconnais a d’autres vertus. Avez-vous déjà essayé un Macon
blanc avec un bon chèvre ?
Tournus est l’une des petites villes les plus charmantes que je
connaisse. On y croise un bon nombre de maisons Renaissance bien restaurées,
ainsi que quelques maisons à pans de bois. La rue principale,
décomposée en rue du Docteur Privey, suivi de rue de la
République et de rue Désiré Mathivet, possède
toutes les boutiques nécessaires pour effectuer son ravitaillement,
plus quelques « caves » où dorment des grands
crus et d’autres plus abordables, mais très plaisants au
palais, et aussi un fromager où personne ne s’étonne
lorsqu’on demande du Soumaintrain, un bouton de culotte,
ou un cendré de Vergy. Une sorte de petit paradis des
odeurs…
Il y a très longtemps, vers 177, Saint Valérien, fuyant
les persécutions lyonnaises, vint s’installer à Tournus.
Il y fut martyrisé, mais les sanctuaires à l’emplacement
de son tombeau furent convertis en abbaye. Au début du IXe siècle,
des moines vendéens apportent les reliques de Saint Philibert
depuis Noirmoutier. Le renom de celles-ci donnent un élan immense à l’abbaye,
qui prend le vocable de Saint-Philibert. De l’abbaye ne subsiste
que l’église, le cloître, l’Hôtel-Dieu
et les parties communes, ainsi que quatre tours de l’ancienne enceinte.
L’endroit est de toute beauté, et il faut absolument visiter
la crypte avec son puits « sans fond », et l’impressionnante
chapelle Saint-Michel, au premier étage du narthex, où se
trouvent les soufflets de l’orgue.
 |
|
|
En ville, près de l’Hôtel de Ville, on visite l’Hôtel-Dieu,
autrement dit l’ancien hôpital, où les lits de chêne
sont toujours là, Salle des Femmes et Salle des Hommes séparées
par une chapelle. Dans l’apothicairerie, on peut admirer 300 pots
en faïence de Nevers.
Un peu plus loin est l’église de la Madeleine, pure romane,
avec six colonnettes différentes au portail, toutes plus ciselées
les unes que les autres. La vue sur le chevet, depuis les quais de Saône,
montre les imbrications successives des figures géométriques
sacrées.
Autant dire qu’il est difficile de repartir de Tournus, mais la
Seille nous attend, et le spectacle qu’elle nous donnera en fin
d’après-midi vaudra à lui seul le voyage.
|