Pour
rejoindre les lacs au nord, il faut emprunter le modeste canal Kanal
Talcki, dont l’entrée se cache entre les tilleuls.
Dès l’entrée, c’est une véritable
symphonie de parfums digne des plus grands noms. Bois brûlé,
fragrances de fleurs diverses, parfum des tilleuls de la rive… Le
vert emplit l’espace, les oiseaux souhaitent le bonjour, accompagnent
tout du long, et dans les roseaux, on peut parfois apercevoir un ragondin,
un castor, et même un renard un peu plus en hauteur sur la berge.
Les voiliers qui redescendent vers Mikolajki passent
lentement sur bâbord, au son pétaradant de leurs petits moteurs. Après
le lac Taltowisko, le canal Lelecki débouche
sur une marina minuscule un peu surréaliste. A l’extrémité de
l’un des deux pontons s’élève un escalier
en colimaçon qui mène… nulle part. Sa ferraille
bleue et branlante conduit à une plateforme coiffée d’un
chapeau chinois, d’où, à deux mètres cinquante
du sol, on peut plus facilement observer les évolutions de… les évolutions
de quoi, à propos ?
En
fait cet endroit bizarre était il y a quelques années
le bassin pour la baignade d’un « camp de jeunes » socialiste.
Il était alors fermé par une rangée de bouées et
l’escalier servait au maître-nageur pour surveiller ses ouailles.
Les temps ont changé et le bassin est devenu ce port minuscule. Sic
transit gloria mundi*, disait
mon prof de latin.
Le moment est idéal sur le flying bridge. Nous sortons une bouteille de
rosé californien du frigo de pont, et passons à table. Dans les
herbes alentour vit une famille de cygnes dont les parents veillent jalousement
sur des petits déjà grands mais encore un peu bruns de plume. Ils
leur apprennent les bonnes manières, comment demander du pain sans se
faire mal voir, etc… Des cygnes très bien, vraiment ! Il y
en a tellement d’autres… Je ne donnerais pas les noms, rassurez-vous.
Puisqu’il faut quitter un jour ce lieu de paresse, nous débarrassons
la table, ce qui occasionne un dernier jeté de miettes, puis nous larguons
les amarres. L’Europa, en silence, avale les vagues avec un flegme tout
britannique. Les pécheurs, tapis dans les roseaux, nous regardent passer
le sourire aux lèvres. On enchaîne ainsi les canaux et les lacs
jusqu’au lac Niegocin, le plus grand de cette série,
là où se situe, tout au fond, Gizycko. Sur les rives des canaux,
abris de bois et mini-camps pour accueillir les voiliers qui font halte.
C’est
sous un ciel nuageux sublime, mais lourd de menaces, que nous atteignons Gizycko,
la porte du nord. Un peu de mal pour trouver une marina qui fournisse eau et électricité,
mais encore une fois, l’efficacité de Sebastian fait des miracles.
Le gardien de la marina tire un câble d’une centaine de mètres
depuis son baraquement. Pour l’eau, nous ferons sans. Cela n’a pas
beaucoup d’importance, les réservoirs sont à moitié pleins,
après notre escale de Ryn. Il faut dire qu’on ne se gène
pas vraiment : longues douches, vaisselle… Les batteries sont chargées à bloc,
après plus de quatre heures de navigation, mais bon, quand on commence à s’habituer
au luxe… En fait, l’avantage du 220v en direct du quai et non du
convertisseur et des batteries est qu’il évite de vider ces dernières
par l’usage des sèche-cheveux ou de la télévision.
Eh oui ! C’est cela aussi, l’Europa !
Le
ciel de plus en plus menaçant précipite un peu notre tour en
ville. Une visite rapide, car il n’y a pas grand chose à voir. Les
deux seuls monuments sont une grande bâtisse à l’abandon,
vestige de l’aile d’un château du XIVe construit par les Chevaliers
Teutoniques, et un pont tournant en bois du milieu du XIXe, l’un des deux
seuls spécimens en Europe. Un autre monument, en dehors de la ville, peut
se visiter : c’est le Fort Boyen. Pas de jeux télévisés
dans celui-ci, mais une construction en étoile à sept branches
un tant soit peu envahie par les herbes. Le grand bâtiment en briques rouges
abrite un musée dans l’une des casemates.
En revenant au bateau, nous achetons une bouteille de Tokay dans un magasin spécialisé.
Le rayon des vodkas laisse songeur… La nuit est calme dans la marina,
bercée par le bruit des gréements qui claquent dans le vent. Un
alignement de dériveurs d’une école de voile forme une sorte
de grand peigne jaunâtre dans l’obscurité.
Au
matin, les pontons sont délavés et de gros nuages roulent au-dessus
de nos têtes. Nous risquons un œil… il ne pleut plus, sauvons
nous vite ! Nous arrivons au pont tournant quelques instants seulement avant
que celui-ci ne pivote. Un homme en ciré jaune tourne autour de sa manivelle
et la magie s’opère : le pont bouge, les nuages s’écartent,
et un bout de ciel bleu réapparaît. Nous décidons alors de
laisser l’Europa amarré après le pont, et de terminer l’approvisionnement
du bateau. Gizycko est quand même la plus grosse ville alentour.
* Ainsi passe
la gloire du monde
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