La traversée de Paris sur la Seine JF Macaigne


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Port de l'Arsenal - Les Îles - Du pont Neuf au pont des Invalides - Du pont de l'Alma au pont Mirabeau - A l'ouest…

Les îles
Notre-DameSte GenevièveFace à nous, une silhouette hiératique et solitaire : c’est Sainte Geneviève, qui protège du haut de ses quinze mètres l’entrée de Paris. Cette version du pont de la Tournelle remonte à 1928, mais il existait au moyen-âge un autre édifice en bois pour parvenir dans l’île de Notre-Dame. Il fut emporté par une inondation et rebâti en pierre en 1656, l’année même où Louis XIV s’éprenait de la jolie Marie Mancini, nièce de Mazarin. Sainte Geneviève, des années plus tôt (en 451, sous Clovis), galvanisa les lutéciens qui fuyaient devant l’arrivée d’Attila et de ses Huns. A présent, elle garde un œil curieux sur les verrières de la Tour d’Argent, à quelques mètres…
A l’instar des péniches, nous nous faufilons entre île Saint-Louis et île de la Cité. Le bras Marie, qui contourne l’île Saint-Louis sous le pont Marie, est réservé aux bateaux à passagers. Cela nous donne la chance de passer à quelques mètres du chevet de Notre-Dame, qui ressemble ce matin, vu de tout en bas, à un trimaran gigantesque. Les beaux immeubles des deux îles nous dominent, en apportant avec eux leurs témoignages sur l’histoire de la Cité des nautes (1).
Hotel-DieuParis s’est fabriqué à cet endroit même, entre ces deux îles et d’autres îlots aujourd’hui disparus, comme l’île aux Juifs où fut brûlé Jacques de Molay, dernier grand-maître de l’Ordre du Temple, l’île à la Gourdaine sur laquelle se trouvait un moulin, l’île aux Vaches , réunie à l’île Notre-Dame pour former l’île Saint-Louis, l’îlot du Passeur-aux-Vaches, à la pointe aval de l’île de la Cité, et, plus loin, vers Grenelle, l’île Maquerelle, dont le patronyme (mâle querelle) rappelait les nombreux duels qui y avaient lieu. Dès la plus haute antiquité, l’homme s’est trouvé rassuré par ces îles au milieu du fleuve, et y a construit des huttes, puis des temples (2), avant une cathédrale et un palais. Nous sommes ici au cœur de l’Histoire de la capitale, et la hauteur des quais qui nous entourent est due à l’amoncellement des gravats des maisons écroulées sur lesquelles on en a construit d’autres.
St GervaisNous passons devant St Gervais, rive droite, la plus ancienne paroisse de paris, bâtie sur les vestiges d’une basilique du IVe siècle. Puis, immédiatement, c’est la grande façade rigide de l’Hôtel de Ville. A cet endroit-là précisément s’est développé le commerce de Lutèce, puis de Paris. La grève descendait doucement jusqu’aux roseaux du bord de l’eau, et les chalands et les bateaux y accostaient, déchargeant leurs marchandises dans une suite de ports où l’on se sentait moins à l’étroit qu’en face, dans le port Saint-Landry, dans l’île de la Cité. Le nom est resté – Place de Grève – et dans les mémoires subsistent encore les souvenirs des supplices et les exécutions pratiquées ici. On sait moins que c’est ici également que le terme de « grève » fut popularisé, car les hommes sans emploi venaient là se louer pour décharger les bateaux.

Palais de Justice
Bras de la Monnaie

A gauche, en face, l’Hôtel-Dieu, le plus vieil hôpital de Paris jouxte la coupole du tribunal de Commerce et le Palais de Justice. Ce dernier, dont la Tour de l’Horloge nous fait face, carrée, massive, moyenâgeuse (3), fut la résidence des rois de France jusqu’à Charles V qui décida que finalement, l’endroit empestait trop les odeurs mélangées de la rue, ainsi que des boucheries et tanneries des rives environnantes, et fit construire plus loin en amont l’hôtel Saint-Pol, où il emménagea.  Tou de l'HorlogeSur le pont au Change, image incongrue, un jeune écossais en kilt fait sonner les tons aigres de sa cornemuse. Le voyage s’annonce bien.
Les deux tours rondes qui arrivent font partie d’un ensemble appelée la Conciergerie. C’était la demeure du Concierge (4), du gardien du Palais et des prisonniers emprisonnés dans l’édifice. La première tour ronde est la tour César et la deuxième la tour d’Argent, ainsi nommée parce qu’elle enfermait le trésor royal. La Conciergerie fut la dernière prison de Marie-Antoinette en 1793. Au bout du château est la tour Bonbec, où était pratiqué la sinistre « question » (5). Elle est suivie du classique et élégant bâtiment de la Cour de Cassation, construit au XIXe.
Il fait décidément frisquet sur le pont, mais personne ne veut rater une miette du spectacle, et à l’unanimité, nous décidons de refaire un tour de l’île. Nous tournons donc autour de la statue de Henri IV, et empruntons le fameux bras de la Monnaie, en sens unique et interdit aux avalants, entre les hauts murs des quais rive gauche et ceux de Notre-Dame. Le courant y est particulièrement violent, le moteur fait ce qu’il peut malgré ses 85cv, et le batobus qui nous suit piaffe d’impatience. amoureux de ParisAu passage, nous lorgnons les fenêtres du quai des Orfèvres avec une pensée pour Maigret, ainsi qu’un regard à la Quai des Orfèvresjeune femme aux cheveux longs entièrement nue qui brandit une sorte de raquette de ping-pong. C’est une statue qu’on ne voit jamais, car lever les yeux à Paris, c’est prendre des risques pour ses semelles. Qui est-elle ? Que fait-elle ? Le mystère reste entier.Nous longeons Charlemagne et ses Leudes (Roland et Olivier), le point zéro sur le parvis (6), et admirons ce qu’on peut voir du flanc sud de la cathédrale, cachée par les marronniers en fleurs. Pour reprendre notre route dans l’autre sens, il faut attendre l’alternat, et nous remontons un peu le courant jusqu’à Bercy, histoire de patienter.


(1) La nef figurant sur le blason de Paris symbolise la corporation des Nautes, ou marchands de l’eau, gérante de la municipalité. Les nautes furent à l’origine de la prospérité de Lutèce.

(2) Un temple de Jupiter existait à l’emplacement de Notre-Dame.

(3) Ainsi nommée car elle fut la première, en 1370, à proposer une horloge publique.

(4) A l’origine, un officier chargé de garder le palais. C’était alors un titre prestigieux.

(5) On appelait ainsi la torture infligée aux accusés pour leur arracher des aveux.

(6) Le point kilométrique (pk) 0 pour toutes les routes qui partent de Paris.

 

Cet article est paru dans le magazine FLUVIAL n°204, en juillet/août 2010.

Texte & photos : © JF Macaigne

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