C’est le grand beau.
Le vent chasse les nuages, et tout l’équipage débarque.
Objectif courses ! Nous sortons le caddy pliant – un must pour tout
plaisancier – et partons à la recherche du supermarché.
Quelques kilomètres plus loin, nous avons déjà traversé
la moitié de la ville en suivant le Canal de Sète, haut
lieu de la plaisance et des joutes nautiques, lorsque nous trouvons enfin
le Monoprix salvateur. Je pense au retour…
Finalement, celui-ci n’a pas été si pénible
que ça. C’est déjà la fin de l’après-midi,
et les petites maisons peintes qui nous entourent nous font de l’œil.
L’appel est trop tentant et nous flânons entre les volets
peints et les draps qui sèchent au vent. Tout ceci ressemble furieusement
à la Grèce, et on ressent l’unité de ce peuple
de la Méditerranée toute proche. Mêmes maisons, mêmes
yeux rieurs, même âpreté dans la vie quotidienne. La
civilisation de l’olivier nous fait les yeux doux depuis déjà
cinq mille ans.
Au
bout de la rue, des filets s’enflent sous la Tramontane, au bout
d’un petit port qui sent le poisson séché, l’huile
d’olive et la peinture. C’est le Port aux Nacelles. Les mouettes
peinent à garder leur équilibre sur les longues perches
de bois qui sous-tendent les filets. Nous espérons que demain matin,
le vent sera tombé et que nous pourrons repartir. Mais si d’aventure
ça n’était pas le cas, Sète et ses trésors
nous tend les bras, et une journée d’étape est toujours
agréable…
Nous lions connaissance avec la famille autrichienne qui occupent «
Ayrolle », la sœur jumelle de notre pénichette, amarrée
juste derrière nous. Les deux garçons ont trouvé
un moyen ingénieux de récupérer l’eau de la
petite fontaine sur le quai, à base de ruban adhésif. Nous
en profitons pour faire le plein, nous aussi. L’eau file vite, et
il est tellement agréable de prendre une bonne douche chaude, le
matin… De fait, c’est le seul point sur lequel nous devons
faire attention. Grâce aux batteries du bord, si le bateau navigue
pendant quatre heures par jour, nous pouvons vivre en autarcie complète
: lumière le soir, et musique classique ou Led Zeppelin à
volonté sur la chaîne stéréo. Il est 20 heures.
Le gigot rissole doucement dans le four, nous prenons l’apéritif
dans le carré… C’est l’extase.
Nous nous sommes réveillés tôt. Nous
aurions pu profiter de la couette encore un moment. Les recommandations
de Christine, ont été très claires : le vent doit
être inférieur à 3 beaufort pour naviguer sur l’étang
de Thau.
La journée sera donc dédiée au cimetière marin,
et à la visite de la ville.
La mort n’est certainement
pas un sujet réjouissant, mais tant qu’à faire, autant
donner envie à ceux qui viennent vous voir dans votre dernière
résidence… Je ne suis pas un spécialiste des cimetières
(si, si, il y en a) mais sincèrement, une visite à cet endroit
béni des dieux, entre ciel, mer et colline, vaut bien le temps
que vous mettrez à gravir la pente pour arriver tout en haut. Le
soleil chauffe les pierres blanches des monuments, quelques pins offrent
une ombre bienfaisante, réparatrice, et odorante, et la mer, en
arrière plan, d’un bleu pâle gorgé de reflets,
évoque l’éternité paisible du temps qui s’écoule.
Paul Valery repose ici, en compagnie d’autres moins célèbres.
Brassens, lui, est quelques centaines de mètres plus loin sur la
corniche, au cimetière Le Py, celui des pauvres…
En ville, du côté
des vivants, les couleurs ont pris le dessus : les bornes anti-stationnement
font la fête le long des trottoirs. Les ruelles ombragées
descendent vers le port et le Canal de Sète au milieu des volets
peints et des balcons fleuris. Sur le chemin, la plus ancienne église
de Sète : la Décanale Saint-Louis, bâtie en 1702 en
l’honneur du saint patron de la ville.
En quittant l’abri du mont Saint-Clair et en retrouvant les deux
ponts de l’entrée du port, il faut se rendre à l’évidence
: le vent n’a pas faibli. Nous commençons à craindre
d’être obligé de rester à quai encore quelques
temps, souci partagé par le skipper d’ « Ayrolle ».
Nous échangeons nos impressions entre deux rafales lorsque survient
un petit bonhomme vêtu d’un pull bleu et d’un bonnet
assorti, muni d’un sac en plastique bourré de vieux croûtons.
« Partez de très bonne heure, avant que le vent se lève.
Nous, les professionnels, c’est ce qu’on fait quand il y a
du vent ». Sur ces mots, le vieux pêcheur acheva de jeter
ses quignons de pain aux mouettes et rentra chez lui.
Je reste persuadé que cet homme a émis sa sentence pour
tester l’esprit aventureux des touristes que nous sommes. J’ai
donc passé un coup de fil à la capitainerie (04 67 46 34
93 – 04 67 74 38 05), histoire de savoir… Une voix charmante
à l’accent ensoleillé me suggère de partir
au tout petit jour. « Le vent se lève vers 9 heures, d’habitude…
». Je reviens vers mon nouveau camarade autrichien d’infortune,
et nous décidons de partir au plus tôt le lendemain, vers
6 h 45. Il faut en gros deux heures pour traverser l’étang,
cela devrait suffire.
En fin d'après-midi, en jetant un coup d'œil machinal par
l'une des baies du carré, j'aperçois un drôle d'engin.
Une sorte de catamaran qui aurait été construit par des
égyptiens anciens. Je sors pour observer l'embarcation, et, stupeur…
les deux ponts sont levés ! C'est un spectacle rare : il ne peut
se produire que deux fois par jour, sur demande à la capitainerie,
et interrompt le trafic ferroviaire de l’un des ponts et la circulation
automobile sur l’autre.
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