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Les bateaux de Venise
 JF Macaigne

 
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Les taxis vénitiens
motoscafoUne autre icône de Venise est le motoscafo, ce fameux taxi vénitien en bois verni – ou blanc, c’est selon – que l’on voit partout, conduit par des hommes tout aussi exotiques que les gondolieri, qui rivalisent d’adresse dans les rii étroits, et d’éloquence pour vous raconter l’histoire de leur ville chérie. Un point, tout d’abord : motoscafo veut dire bateau à moteur. Dans un sens, tout ce qui circule avec autre chose qu’une rame à Venise est un motoscafo. Mais… la gloire est tenace, et dépasse largement les frontières de la lagune. Un motoscafo, pour le commun des mortels, c’est ce canot luxueux de bois verni, dont la cabine est séparée du pilote, et qui emprunte son dessin aux réputés Rivas des années 50/60, vedettes des rivieras, des festivals, et favoris en leur temps des starlettes, des stars tout court, des hommes d’affaires et des millionnaires* de tout poil.
Histoire de se faire plaisir, d’en connaître un peu plus, et de pénétrer dans l’antre du rêve, j’ai été visiter le chantier naval dont sortent ces Rolls de la mer, le plus chic, le plus fabuleux, celui dont aucun superlatif ne vient à bout : le Cantiere Motonautico Serenella, à Murano.
motoscafomotoscafoDans les grosses sangles de la grue qui accueille le visiteur se balance doucement une petite merveille de 250 000 € que doit venir réceptionner le lendemain son propriétaire japonais, pour l’emmener chez lui, à Osaka. Ambiance. Au bout de la cour, trois hangars blancs et un atelier dont sort un homme d’un pas pressé. C’est là que se font les canots les plus beaux du monde. Enfin, chacun peut avoir ses préférences, n’est-ce pas ? Dans l’atelier, des plaques de bois achèvent de sécher après le vernissage. On dirait les morceaux d’un piano de concert. « Quinze couches appliquées au pinceau ! me glisse Federico Feltrin, notre guide à travers cette usine à rêve. C’est nécessaire pour obtenir ce fini si particulier ». De fait, on pourrait se raser dedans… Le soleil qui entre par les grandes fenêtres joue avec les planches et les meubles qui reluisent, et au milieu du local trône un ancien taxi venu se refaire une beauté. Seul le plat-bord et une partie du capot avant sont refaits, et l’on voit la différence.
motoscafoA l’extérieur, un tronc immense découpé en lamelles attend d’entrer dans le hangar de gauche pour y être travaillé. C’est un acajou venu d’Afrique. Le bois sent bon. Une fragrance exotique et sensuelle qui trouverait sans difficulté sa place chez un parfumeur. Le bois est gardé ainsi pendant trois à quatre ans, puis il est travaillé. Tout est réalisé au chantier Serenella, même les berceaux des bateaux. Je pense au bateau une fois terminé, qui fera de toute personne montant à bord un prince ou une princesse.
Des canots, il en sort en moyenne huit par an. Tous différents. Au moins six mois par projet pour la vingtaine de personnes que compte le chantier pour achever un nouveau bateau. Ils font entre 9 et 12 m de long pour 2,20 m de large. La bonne taille pour les petits rii étroits de la Sérénissime. Leurs superstructures très basses leur permettent de passer sous les quelques 450 ponts de la cité. A l’intérieur, air conditionné, TV, frigo, et des sièges en cuir où l’on peut s’abandonner au rêve.
Elio SalvagnoLes Salvagno construisent des bateaux à Venise depuis toujours, dit la légende. Je ne contredirai pas, mais quoiqu’il en soit, cela fait très longtemps qu’ils ont ce savoir-faire unique connu du monde entier. Je rencontre Elio Salvagno dans le hangar du fond, en train de caresser amoureusement l’acajou d’un bateau qui en est encore à ses débuts. Cheveux blancs, œil bleu lavande assorti à la chemise, Elio Salvagno est visiblement heureux au milieu de ses créations. Sa main flatte le galbe d’un bateau – blanc, celui-là – qui n’en est qu’à ses premiers bois. Il passe de coque en coque, inspectant toutes ces merveilles qui attendent qu’on s’occupe d’elles, comme des stars qui patienteraient dans le salon d’un chirurgien esthétique.
La visite se poursuit avec Federico. Nous passons dans un hangar où dorment trois canots anciens. Le premier ressemble à un taxi comme un frère, mais c’est… une limousine. Elle est autrichienne depuis 12 ans, et propulsée par un gros Volvo penta de 250cv. Son étrave est d’une pureté à couper le souffle. Le deuxième est plus récent : 5 ans. Sa place habituelle se trouve dans la soute d’un yacht de 70m appartenant à un client russe. Sans faire d’anthropomorphisme, avec ses deux phares comme des yeux et son ancre chromée qui lui trace comme une moustache, cette étrave a de la gueule ! A l’intérieur, cuir blanc matelassé et bois précieux, comme il se doit. Le troisième est un monstre : un canot de vingt ans d’âge mû par deux Volvo Penta de 280cv chacun ! En 1981, il a participé à la célèbre course d’endurance offshore Venise/Monte Carlo, qu’on peut qualifier de Paris-Dakar de la mer. Deux sièges, une banquette, et une petite cabine sous le capot avant pour se reposer. Les intérieurs de bateaux de course ont pas mal évolué depuis…
motoscafomotoscafoBien sûr, une question me brûle les lèvres : combien valent ces bijoux flottants ? Le prix est évidemment variable. Pour un taxi moyen, on tourne autour de 160 000 €, mais dès qu’on monte en finition, on crève quelques plafonds. Je bateau qui partira demain pour Osaka coûte la bagatelle de 250 000 € environ. Du rêve, je vous dis…
Le lendemain, un long capot verni surmonté d’un requin chromé m’a tiré l’œil. Le logo du Cantiere Serenella à l’arrière de la cabine m’a immédiatement renseigné. MOA NYC venait bien de Murano, là même où j’étais la veille. Manuel Scarpa, qui pilote cette limousine d’eau (c’est l’appellation), m’a fait faire le tour du propriétaire. Permezzo ? On entre par l’avant. C’était étrange de monter à bord d’un bateau dont j’avais vu fabriquer les frères. La filiation était bien là : luxueux comme un salon anglais, un tableau de bord à l’ancienne en ronce de noyer, une poupe arrondie comme des fesses de starlette, et un son de moteur qui rendrait jalouse une Ferrari. C’est un Volvo de 200cv qui habite le capot arrière. Il doit avoir des chats dans sa famille, car on l’entend très distinctement ronronner. Manuel habite Venise et effectue tous les jours une dizaine de courses. Je ne lui ai pas demandé le prix, ça m’aurait fait trop mal. Histoire de se dire au revoir, de montrer l’aisance d’un engin qui n’est pas loin de neuf mètres, et de le faire apprécier sous toutes les coutures, il m’a fait admirer sa dextérité au petit volant de bois, et est reparti vers de nouvelles aventures.

*En ce temps-là, remarquez qu’on ne parlait pas encore de milliardaires. Il y en avait tellement peu qu’on citait les noms…

Cet article est paru dans le magazine FLUVIAL n°196, en octobre 2009.
Vous pouvez l'obtenir en cliquant ici

 
   
Texte & photos : © JF Macaigne