Le
lendemain, les sourires sont au beau fixe, comme le temps (tout arrive…),
et tout le monde croise les doigts. Nous allons enfin avoir les réponses à un
certain nombre de questions : comment plusieurs couples d’amis
cohabitent-ils sur un bateau plus grand, notamment s’il y a des
enfants, que faire sur l’eau quand il pleut, et enfin, quoi faire
pour le dîner quand on a épuisé toutes les idées
de menu auxquelles on avait pensé avant de partir ? L’expérience
valait le coup d’être tentée.
Nous débutons notre voyage par un bout de canal mince et encaissé comme
une gorge. Il se termine par l’écluse d’Eugny, que
nous atteignons, accompagnés sur la berge par un poney blanc
solitaire, chargé de toute la détresse du monde. Au milieu
des fleurs du jardin veille un chat en faïence, stoïque et
figé comme une statue égyptienne.
Les écluses sont au canal du Nivernais ce que les fruits confits
sont au pudding anglais. Des petits moments de bonheur. C’est
dire que nous ne nous ennuyons pas, bien au contraire. Dans nombre
de ces écluses, les femmes et les jeunes filles, souvent des
intérimaires, manœuvrent les vannes et les portes. A Marcy,
c’est Eloïse qui tourne les manivelles. A Chitry, c’est
Magali. Quoiqu’on en pense, je ne suis pas le seul à les
regarder travailler. Tout le monde à l’avant n’a
d’yeux que pour elles.
Chitry
les Mines est le village dont Jules Renard fut maire. C’est ici
qu’il écrivit Poil de Carotte et le Pain de Ménage,
entre autres. Surplombant l’Yonne, sur une ancienne voie romaine,
le château de Chitry, du XIVème, ressemble beaucoup à l’idée
que l’on se fait d’une demeure nobilière : un corps
de logis flanqué de deux tours rondes, poursuivi par deux ailes,
elles-mêmes terminées par deux autres tours. On visite,
du 15 juin au 15 septembre, et on y découvre de beaux meubles,
des tapisseries de Flandre et d’Aubusson et des tableaux représentant
les Sybilles, aux oracles célèbres.
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Il existe une autre attraction dans cette
portion du canal : les ponts-levis, que l’on manœuvre soi-même.
Nous passons rapidement maîtres dans l’art musclé de
lever les mécanismes. La plupart sont en ferraille, mais à Dirol,
il est en bois, et c’est le plus ancien de France. Il est magnifique,
et possède un petit air hollandais, ou moyenâgeux, au
choix. Nous laissons derrière nous Monceaux-le-Comte et les
ruines de l’un des châteaux des Comtes de Nevers, du XIIIème,
et deux fox-terriers qui observent toute cette agitation d’un œil
philosophe.
Cet après midi de navigation est calme et contemplative. Tout
est verdoyant, la nature est exubérante, et l’eau du canal,
sans un pli, se laisse découper en deux sillons doux perlés
d’une petite écume. Sur les bords, et aux abords des écluses,
de petites embarcations et des narrow-boats dorment, attendant le bon
vouloir de leurs propriétaires. L’Yonne,
petit cours d’eau à cet endroit, paresse à quelques
mètres, et nous en faisons autant. Les écluses succèdent
aux ponts-levis, les champs de fleurs aux grands arbres, les reflets à d’autres
reflets, et toutes les nuances de vert qui nous entourent ne tiendraient
pas sur une seule palette.
En début de soirée, nous ne sommes plus qu’à une
petite dizaine de kilomètres de Clamecy, une mini paire d’heures
en comptant les écluses. Villers sur Yonne nous accueille au crépuscule
: c’est un tout petit village fleuri et paisible, formé pendant
les guerres de religion du XVIème siècle par le déplacement
de la population de Cuncy (anciennement Quincy), situé un peu
plus haut vers Clamecy, et détruit à l’époque
par les protestants.
Le
ciel vire au rose, l’eau fait miroir, c’est l’heure
calme, l’heure à laquelle on tire les rideaux, l’heure
de se retrouver chez soi, autour de la grande table du carré.
A demain…
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