Après
le café du matin, nous nous dirigeons vers Châtel Censoir,
camp de base espéré d’une virée prévue
vers Vézelay. Depuis l’écluse de Crain, le canal
est rectiligne et ombragé. A cette heure matinale, on recherche
le soleil qui réchauffe agréablement. Il se produit une
illusion d’optique étrange : nous avons l’impression
que le canal « monte » entre l’Yonne à gauche
et la route à droite, ce qui, bien évidemment, est rigoureusement
impossible. Nous n’avons pourtant pas abusé de l’Irancy
hier soir. Juste après l’écluse de Bèze
(mais oui !), nous observons un canard solitaire qui nous survole en
sens inverse. Au même moment, un Mirage de la base de Dijon passe
dans un tonnerre de réacteur. L’effet est garanti. On
ne regarde plus les canards de la même façon, après
cela…
Après
une grande ligne droite aux berges taillées
de près, voilà l’écluse de Lucy, au jeune
chat curieux et affectueux. Au loin se profile le château de Faulin,
superbe bâtisse du XVème, où s’est tourné une
partie de La Grande Vadrouille.
L’écluse de la Place mérite
une mention spéciale. Nous savons maintenant que le paradis des
nains de jardins est fleuri et plein de surprises.
Nous arrivons à Châtel
Censoir un poil avant midi, le temps pour nous de nous amarrer et de
trouver un taxi (3) (pour huit, pas évident) qui nous emmènera
jusqu’à la « colline éternelle ».
Vézelay,
lorsque les hordes estivales ont fui vers des azurs meilleurs, redevient
un village calme et joli, aux vieilles maisons de pierres parfois sculptées,
aux rues où les galeries de peinture désertées abondent,
où l’on peut flâner l’âme en paix. C’est
vrai que l’âme en prend un coup, ici. Une sorte de sensibilisation
au spirituel. Il y a des endroits comme ça, dans le monde. Rares,
mais efficaces.
Perchée sur son mamelon au dessus de la Cure qui
paresse en contrebas, Vézelay est célèbre dans le
monde entier depuis le moyen-âge, depuis que les reliques de Marie-Madeleine,
la sœur de Lazare, reposent dans l’église fondée
par Girart de Roussillon. Les miracles qui s’y succèdent
obligent d’agrandir l’église carolingienne pour accueillir
les pèlerins qui viennent en masse sur la route du champ des étoiles,
Compostelle. En 1120, les flammes ravagent la nef et tuent plus de mille
personnes. Qu’à cela ne tienne. Saint Bernard y prêche
la deuxième croisade le 31 mars 1146 à côté du
chantier. Succès immédiat. Louis VII se croise et part
en orient avec sa jeune épouse, Aliénor d’Aquitaine.
Cette deuxième croisade sera un échec cuisant. En 1190,
Philippe Auguste et Richard Cœur de Lion s’y rejoignent avant
de partir eux aussi vers l’orient.
A la fin du treizième
siècle, la polémique enfle entre Vézelay et la Sainte-Baume,
où la sainte repose également depuis le VIIème siècle… Le
pape Boniface VIII, tranche en faveur de la tradition la plus ancienne
: c’est le début de la lente fin du site. L’abbaye
est rasée à la Révolution, mais Prosper Mérimée
sauve l’église en confiant la restauration à Viollet-le-Duc.
Nous déjeunons tout en bas, sur le poignet. C’est vrai
qu’avec ses cinq doigts issus de la même rue Saint-Etienne,
Vézelay vue d’en haut ressemble à une main qui tiendrait
la basilique Sainte Marie-Madeleine du bout des ongles.
L’église,
immense, semble coupée en deux par la nef de pierre. Il y a tant à dire,
tant à voir sur la Madeleine… Elle est belle, émouvante,
riche de rêves et d’enseignements. C’est un lieu magique
où il faut arriver à s’extraire du temps pour communiquer
avec… soi, probablement. L’endroit idéal est la crypte
du XIIème, où, si l’on a de la chance, on peut rester
seul quelques instants. L’arrivée en péniche serait
alors une sorte de préparation à ce moment unique. Le voyage
de retour s’enrichira à coup sûr d’une vision,
d’une perception différente. L’essai est gratuit :
le salaire immense.
Sortez
sur la terrasse, là où Saint
Bernard haranguait les foules.Tout en bas, en suivant le cours de la
Cure, observez la flèche gothique qui s’élance, noyée
dans le vert des arbres. C’est le petit village de Saint-Père
et sa Notre-Dame du XIIIème siècle, petit joyau gothique
dont Viollet-le-Duc était tombé amoureux.
Il
ne reste plus qu’à repartir, quitter Vézelay où l’on
revient toujours, c’est ainsi prévu dans le grand livre.
Le taxi vient nous rechercher, et nous réintégrons nos
pénates flottantes. Demain nous foncerons (je plaisante) vers
Auxerre, via Bailly et ses caves extraordinaires, mais pour l’instant,
c’est
l’heure de l’apéritif, et nous profitons des dernières
lumières du jour pour regarder les photos du jour sur le pont
supérieur. La petite église de Chatel Censoir égrène
les heures, tout va bien.
(2) Cru de Bourgogne rouge local délicieux,
comme le Coulanges-la-Vineuse, et le pinot noir. A ramener !
(3)
Taxis St Marc
03 86 81 03 93
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