Le
lendemain matin, nous sommes repartis, en jurant de revenir découvrir encore
plus de ces trésors citadins. En compulsant les guides et autres
brochures glanées ça et là, nous nous sommes aperçus
que nous n’avions fait qu’effleurer la visite de cette ville
superbe. A bientôt, donc.
Sur la rivière, le temps s’écoule, flegmatique comme
un gentleman de la City, et les écluses s’enchaînent.
Elles sont maintenant électriques, et beaucoup plus grosses. Elles
se remplissent ou se vident plus vite, mais comme il y a plus d’eau
dedans, cela prend finalement autant de temps que sur le canal.
Un peu
plus loin, à l’écluse d’Epineau, une vieille
péniche hollandaise de 1894 est arrivée et s’est
accostée derrière nous. Une splendeur, avec barre franche
et vitres à petits carreaux. Carla (c’est son nom) nous
a suivi jusqu’à Joigny, terme de notre voyage, mais pas
fin des visites. Car Joigny vaut le voyage !
L’arrivée à elle
seule vaut le coup d’œil. Après une courbe apparaît
la ville, le château des Gondi émergeant d’un rideau
d’arbres, et l’église Saint-Thibault. Le pont vieux
déroule ses arches, et, au dessus, les vignes moutonnent sur les
rondeurs de la colline.
Après avoir longé les pontons de
la base et les berges de l’Yonne où se reflètent
les ocres tendres et clairs du pont et les ardoises du château
des Gondi, nous gravissons des ruelles étroites peuplées
de vieilles maisons à pans de bois et de gamins joyeux. Soudain
apparaît une maison dont le porche est gardé par deux tourelles
: c’est l’Hôtel Louis de Guidatti, gouverneur de la
ville et du château de 1612 à 1643. Juste à côté,
une autre maison, plus austère : celle où séjourna
Saint Vincent de Paul, lorsqu’il était précepteur
des enfants du Comte Paul-Emmanuel de Gondi en 1613.
Arrivés sur
une petite place où s’épanouit un platane, face au
Palais de Justice néo-classique du XIXème, s’élève
une petite église dédiée à Saint André,
ancienne prieurale Notre-Dame. Le mur sud date du moyen-âge (fin
du XIème siècle) et de la fondation du prieuré.
La frise de la façade narre l’histoire du saint. Nous passons
devant une école maternelle qui sent bon son Jules Ferry, et arrivons
devant le château des Gondi, à l’architecture noble
mais austère, commencé sous Charles IX, fini sous Henri
IV.
L’église Saint-Jean faisait partie du château à la
fin du Xème siècle, et fut reconstruite en pleine Renaissance
après le terrible incendie de 1530 qui épargna peu de chose
de la cité bourguignonne. A l’intérieur, une mise
au tombeau en marbre qui date d’avant 1520, réalisée
par un artiste itinérant inconnu, venu de Touraine en Picardie,
où le monument se trouvait jusqu’à ce que Pierre
de Gondy le donne à St Jean. Plus loin, le gisant d’Aelis,
comtesse de Joigy, décédée en 1187. Les petits personnages
(probablement les enfants de la comtesse) sont gracieux et témoignent
des modes vestimentaires du XIIème siècle.
Nous laissons derrière nous
la Porte Saint-Jean, vestige de l’enceinte du château, descendons
quelques marches, et face à nous se présente une maison à pans
de bois magnifique : la maison du Bailli. Cette demeure, comme les autres
que nous découvrirons un peu plus loin, fut construite au XVIème
siècle, après l’incendie de 1530 Tout à côté,
dans une maison blanche toute simple, se trouve l’Atelier Cantoisel,
dont l’intérieur a accueilli des expositions depuis plus
de vingt ans. Poussez la porte et savourez…! Du deuxième étage,
la vue sur les toits de Joigny et l’Yonne est splendide. Jany et
Michel Thibault, qui habitent la maison, se sont réservés
un étage, et laissent le reste aux artistes. Le résultat
dépasse les espérances…
En suivant la rue Montant
au Palais, nous découvrons une placette sur laquelle s’élève
la maison « de l’Arbre de Jessé », ainsi nommée
en raison de l’arbre généalogique du Christ, sculpté sur
les pans de bois de la façade sur plus de 4m de haut !
Quelques
mètres plus loin sur l’autre trottoir, une autre maison à pans
de bois sculptés et céramiques s’impose à tout
amoureux des vieilles pierres. La multitude de têtes, d’animaux
et de motifs floraux ouvragés dans le bois évoquent une époque
où la décoration des demeures n’était pas
la même. Dans cette maison habitait un certain Martin Lebeuf. Elle
ouvre ses fenêtres sur la place du Pilori, où étaient
exposés les voleurs et les criminels aux quolibets du public.
Juste à côté, une autre vieille maison, elle aussi à pans
de bois, affiche un cadran d’horloge bloqué sur dix heures
dix. La dernière fois que je l’avais vue, elle indiquait
midi. Comme quoi, même bloquée, une pendule peut quand même
donner une heure…
L’église Saint-Thibault se dresse
de l’autre côté de la place. A cet endroit s’élevait
en 1075 une chapelle qui abritait les reliques du saint dont le nom fut
ensuite donné à tout le quartier. A l’intérieur
se trouve une statue de la Vierge au sourire charmant et énigmatique,
qui tient de façon inhabituelle l’enfant Jésus sur
son bras droit. On remarque aussi en sortant, au-dessus du portail d’entrée,
une petite statue représentant Saint Thibault, œuvre du
sculpteur espagnol Juan de Juni (Jean de Joigny).
La légende raconte
que la troupe qui ramenait le corps du saint mort en Italie en 1056,
afin qu’il soit déposé à Sens à la
demande de son frère Arnould, fit halte à cet endroit pour
y passer la nuit. Un bossu resta la nuit entière à veiller
et prier sur le corps du saint, et au matin celui-ci exauça ses
vœux. On ne dit pas lesquels…
Dans la rue Gabriel Cortel,
qui redescend vers le pont, nous dînons à la Maison Bleue
(5), un petit restaurant joliment décoré, en accord avec
les maisons alentour.
Nous retraverserons l’Yonne à la nuit
tombée, en profitant des tous derniers reflets roses et bleus.
L’eau clapote doucement le long des bateaux, c’est notre
dernière nuit à bord. Curieusement, pour l’ultime
cigarette sur le pont supérieur, il n’y avait pas que des
fumeurs…
(5) La Maison Bleue - 41 rue Gabriel Cortel
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