Le lendemain matin, je suis debout à l’heure ou le canal
est bleu. C’est le ciel, immaculé et faiblement éclairé par
un soleil balbutiant, qui se reflète dans les eaux et leur donne
cette couleur de piscine un peu délavée. Les arbres se
parent d’or et de verts, on entend un mouton qui bêle au
loin, l’herbe est couverte d’un léger voile de givre,
et une très légère brume flotte par endroits le
long des berges. J’ai toujours adoré ces réveils
en pleine nature lorsqu’il va faire beau et que le soleil se lève à peine.
Une spécialité de la croisière fluviale, dont tout
le monde ici, déjà debout, profite un maximum.
Café et douches plus tard, l’aventure repart. C’est
vraiment le grand beau, et, bien qu’il fasse un peu frisquet, tout
le monde est sur le pont, emmitouflé et heureux. Châtillon-sur-Loire
n’est pas très loin, et nous tente assez.
Les vieilles maisons y foisonnent, et certaines ont quelque mal à rester
debout. Homonyme d’un autre, construit par Richard Cœur de
Lion et situé aux Andelys, le château Gaillard derrière
l’église est infiniment plus discret, et aussi beaucoup
plus abîmé. Il n’en reste plus grand chose, si ce
n’est ce vieux mur et ce reste de tour carrée, au milieu
d’un petit jardin municipal totalement charmant. A ses pieds s’étalent
des jardins potagers parfaitement ordonnés qui donnent immanquablement
envie de bio.
Du bio, ce n’est pas ce qui va nous manquer pendant cette croisière :
les paysages de campagne sont magnifiques, commencent à revêtir
leurs couleurs d’automne, et dessinent des patchworks somptueux.
Du bonheur pour les yeux, mais aussi une invitation à la Nature.
Elle fonctionne, d’ailleurs : dès le premier soir,
nous avons été tellement bien en dormant attachés
aux piquets en pleine nature, que nous avons recommencé tous les
jours ! Les deux panneaux solaires et notre navigation a suffit
pour avoir de l’électricité chaque soir sans défaut,
et la seule contrainte fut de se ravitailler en eau, une obligation assez
facile à satisfaire…
Les deux énormes cheminées de la centrale nucléaire
de Belleville-sur-Loire apparaissent tôt dans le paysage. Nous
approchons, et, de près, évidemment, elles sont beaucoup
plus grosses. Mais finalement, elles ne semblent pas plus inquiétantes
que ça. En tout cas, elles n’ont pas l’air d’émouvoir
beaucoup les chasseurs du coin, dont on entend les coups de feu, et dont
on aperçoit un représentant, fusil en main, à une
petite cinquantaine de mètre du canal. Celui-là m’inquiète
beaucoup plus par sa proximité. Nous avons sur le pont les habituelles
plaisanteries à propos des lapins phosphorescents près
des centrales atomiques, puis le sujet s’épuise, car l’écluse
des Houards s’approche. C’est la dernière pour ce
soir, elles ferment toutes à 19h. L’éclusier, béni
soit-il, nous indique un coin sympa pour passer la nuit : « vous
ne pouvez pas le manquer : c’est juste après le prochain
pont, près d’un petit lavoir. A côté, vous
pourrez acheter des fromages de chèvre… »
Forts de ces bons conseils, nous nous sommes attachés à l’endroit
indiqué, et j’ai prétexté des photos à faire
pour aller jeter un œil sur ces fameux chèvres. J’ai
rencontré ces dames, en plein dîner, et la fermière
m’a tout expliqué de la fabrication de ces petites merveilles
rondes. Je suis rentré à la Pénichette sous les
vivats. Hélas, nous n’avions pas prévu de vin blanc.
A quelques kilomètres de Sancerre seulement, nous avons décidé d’attendre
pour marier dignement fromage et vin. Ma grand-mère disait souvent : « il
faut souffrir pour être beau ». Pour l’harmonie
des saveurs, il faut aussi parfois savoir attendre. La vie est dure.
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