Décidément, les petits matins sont beaux, sur le canal.
La lumière est un vrai régal, et dans la demi brume qu’affectionnait
Apollinaire, les choses prennent un autre relief. C’est le moment
que choisit un ragondin pour traverser le canal et venir nager sous notre
nez sans vergogne. Cet animal fait le malheur des berges mais le ravissement
de la jeune génération, vous pouvez me croire !
Sur la rive apparaît encore un fois un petit champ d’asters,
jolie tache mauve sur le vert de l’herbe. Ce n’est pas le
premier depuis le début du voyage. Je ne connais pas la raison
de ces plantations, mais il faut avouer qu’elles sont belles et
très décoratives.
Au
pont des Vanneaux, arrêtez-vous. Il y a d’ailleurs un
petit port exprès pour ça, juste après l’écluse.
Prenez ensuite le vélo, ou utilisez vos mollets, et poussez jusqu’au
village voisin : Gannay-sur-Loire. Il y a là, à l’ombre
de l’église, le tronc mort d’un arbre très
ancien planté paraît-il par Sully en 1597 pour servir de
borne de distance sur l’itinéraire Limoges – Autun.
Il marquait la frontière entre Bourgogne, Nivernais et Bourdonnais
selon d’autres. Autant vous dire que l’arbre n’a pas
résisté aux temps modernes et qu’il n’est plus
que le souvenir de lui-même. N’empêche.
On l’a
coiffé d’un chapeau conique en tuiles de bois qui le font
ressembler à un schtroumph gris. C’est un peu triste, mais ça
vaut le kilomètre et demi (au moins) que vous venez de pédaler.
Je ne vous sens pas content, là. Alors, ré-enfourchez votre
vélo, et tournez dans la première à gauche, puis
dans la première à gauche suivante. Cent mètres
plus loin, vous verrez une très jolie maison ancienne à pans
de bois et sa grange. Il s’agit de l’ancienne auberge des
mariniers de Loire, supposée dater du XVIe siècle. Elle
est fermée. Faites une photo. Rentrez au bateau. C’est vrai :
si vous êtes venu à pied, c’est pire. Mais dites-vous
que vous venez de vous faire un bien fou avec un peu d’exercice,
et qu’il est bientôt l’heure de déjeuner…
Entre l’écluse de Clos du May et Beaulon, on traverse un
petit bois touffu très sympathique. Ouvrez grandes vos narines.
Vous sentez les champignons ? Un vrai bonheur…
L’abbaye de Sept-Fons va également faire appel à vos
sens exacerbés par tous ces exercices.
Elle est là depuis 1132, fondé par les cisterciens venus
de Fontenay, à côté du canal de Bourgogne, et avant,
de Clairvaux, sous la houlette de Saint Bernard. Les moines ont subi
les avanies des hommes et du temps, mais ils n’ont jamais varié dans
leur façon de vivre leur foi, fidèles à la règle
de Saint-Benoit. Ils produisent tout un éventail de produits naturels
excellents comme le miel, la confiture (le coing est un pur délice),
du fromage au lait entier cru, ainsi qu’une gamme de produits au
germe de blé d’une qualité irréprochable.
Rendez leur visite, vous vous ferez plaisir. Et repartez heureux et en
paix. Après tout, c’est le dernier jour de la croisière.
Demain matin, il faut rendre le bateau. Alors, comme nous, plutôt
que de coucher face à l’Abbaye, mais aussi d’une superbe
usine avec bruits, camions, etc, revenez en arrière d’un
petit kilomètre, histoire de mettre un peu de distance entre la
civilisation et vous, et plantez les piquets une dernière fois.
Peut-être aurez-vous alors la chance, comme nous, de voir s’enfuir
un chevreuil à trois mètres à peine du bateau,
d’un bond souple et élégant, vers d’autres
fourrés, moins fréquentés par les humains. « On
ne peut même plus être tranquille ! »…
La boucle est bouclée. Nous avions commencé par un cerf
dans l’église de Briare, nous terminons par un chevreuil à un
quart d’heure de Dompierre.
Pour la bonne bouche, le lendemain matin, nous avons constaté en
le parcourant qu’il restait quand même quelques endroits
sympas pour s’amarrer le soir dans l’Embranchement de
Dompierre, petit bras de canal qui se termine à la base Locaboat. Ça
nous appendra à écouter les mauvaises langues…
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