La Hollande par le Sud
JF Macaigne

Loosdrecht - Utrecht - Les canaux - Gouda - Les tulipes - Amsterdam - Retour à Loosdrecht…

Le lendemain matin, nous avons eu des envies de fromage. Gouda était à portée d’une bonne journée de navigation. Utrecht avait basculé dans la semaine, avec ses milliers de cyclistes qui partent au travail, sa circulation, et tous ces petits plaisirs qui nous font préférer les canaux au beau milieu de la campagne. La ville, on connaît toute l’année…
Nous avons donc quitté la belle cité et ses bonheurs, et emprunté le même chemin qu’à l’aller, dans l’autre sens. Attention à la poule d’eau, attention à la tête en passant sous le premier pont (c’est vraiment juste), un petit bonjour à un pêcheur et à son étrange compagnon, et nous traversions à nouveau l’Amsterdam Rijn Kanaal, sur la largeur, c’est plus rapide. Nous étions maintenant sur le Merwede Kanaal, dans les faubourgs de Nieuwegen.

Quelques ponts plus loin, c’est la rivière Ijssel, et un vrai festival. Pas un festival de cannes. Non. Un festival d’oies. Il est vrai que depuis notre voyage au Mecklenburg, nous avons gardé une tendresse particulière pour ces animaux. Elles sont splendides. En avril, c’est la saison où il ne fait pas bon déranger ces dames : elles couvent. Littéralement, d’abord, et aussi de leurs yeux attentifs leurs rejetons qui découvrent le monde. En bordure de champ, protégé par les ajoncs, à quelques centimètres du canal, tout ce petit monde s’agite, discute, bouge en claudiquant, indifférent aux vaches et aux moutons.
Le ciel était (presque) au grand beau. Tout le monde était sur le pont, à observer les champs de houblons, refaire le monde, ou plongé dans un bouquin. De l’oxygène à profusion.
Apparut Montfoort et ses grandes maisons de briques. Le long des quais, un grand viking torse nu, qui bricolait son ketch, fit tourner la tête des filles et alimenta la conversation. Plus loin, dans les quartiers chics, un héron nous regarda passer, l’air désabusé. Et à la sortie de la ville nous avons pris des cours sur la façon de construire un toit de chaume.

Le spectacle animalier a continué dans les champs jusqu’à Oudewater : moutons, vaches, chèvres, dont certaines poussent le mimétisme jusqu’à ressembler à des vaches, de loin. Dans une ferme, c’est un jeune cheval bai qui a joué avec nous depuis son enclos. Une élégance rare.
Nous sommes arrivés au pont d’Oudewater un peu après dix-sept heures. Quelques minutes trop tard pour passer. Le préposé fait la pose entre 17 et 18 heures. Près du pont, un groupe de gamins essayaient de sortir une bicyclette du canal avec un grappin et une corde orange. Nous avons bien essayé de les aider, dans le plus pur désintéressement, mais peine perdue. La seule chose raisonnable était d’aller visiter le plus vieux village de Hollande, célèbre pour ses sorcières. Et nous ne l’avons pas regretté, c’est un enchantement… Si ! Si ! Vraiment !

La plupart des maisons datent du dix-septième siècle, l’époque de Rembrandt. Les pignons crénelés se succèdent, avec leurs petits volets peints ou vernis. Partout, le souvenir des ans passés est encore là, dans les briques ocres et roses, les statuettes et les faïences sur les façades. L’heure est passée à une allure phénoménale, et lorsque le carillon de l’église St Michael (1601) a joué six heures, nous avons rebroussé chemin. Si vous avez plus de temps que nous, profitez de votre halte pour aller vous faire peser à la maison de pesage des sorcières, sur la balance de 1482 ! Si vous pesez le bon poids, on vous remettra un certificat qui prouvera une fois pour toute que vous n’êtes pas une sorcière. Il fallait être en effet très légère pour voler sur un balai. J’en connais que ça va réconforter. Anorexiques s’abstenir.
Attention cependant à la (toute petite) circulation : comme il n’y a pas un trafic dantesque dans le village, certains se croient autorisés à rouler à des allures défiant l’entendement dans les rues étroites. Ceci vaut aussi pour les vélos, qui ne s’arrêtent pas. Mais, me direz vous, c’est partout pareil en Hollande. C’est vrai.
Nous avons repris notre route sous l’œil amusé et bienveillant d’une dame en train de nourrir une famille entière (nombreuse) de colverts, et sommes revenus à nos moutons, si j’ose dire… Nous sommes arrivés à Gouda entre chien et loup, tentant d’entrer dans l’écluse sud de la ville, gardée par deux moulins. Malgré toute notre patience, et comme l’écluse ne s’ouvrait pas (1), nous avons décidé de contourner la ville et d’entrer par le nord. Il a alors fallu passer par le Gouwekanaal, avec les grosses péniches, et surtout ne pas manquer l’entrée, au pied de l’énorme éolienne.
La nuit était tombée, mais nous avons trouvé une place à deux pas de la vieille ville, sur un canal où stationnent de nombreux bateaux.

Nous nous sommes offert une petite promenade apéritive, vers le cœur de la cité. De nuit, Gouda prend une tonalité particulière. Les maisons sont des pièges à mystères, où les fenêtres vous épient et les lanternes attirent. Sur la place du marché, là où se déroule le jeudi de fin juin à fin août le célébrissime marché au fromage (2), le fabuleux Hôtel de ville s’avance comme une gigantesque nef au cœur de la nuit ; Féerique ! Nous sommes rentrés dîner par les petites rues, en se délectant des reflets dans l’eau sombre des canaux.

(1) Je ne suis pas absolument sûr qu’elle s’ouvre, après tout…

(2) Autant dire que pour nous, c’est râpé…

 

 
Texte & photos : ©JF Macaigne