Premiers tours d’hélice
Après un réveil plus que tardif et les derniers préparatifs, nous franchissons l’écluse et nous nous engageons dans Laggan Avenue, un petit bout de canal avec un nom de chanson pop. Sur les bords, entre les sapins, des massifs de rhododendrons mauves, qui poussent un peu partout par ici, et que l’on aperçoit en grand nombre sur les flancs des montagnes. Après un pont tournant - la grande spécialité de la région - sous lequel nous nous faufilons, nous entrons dans le Loch Oich. Les montagnes sont vertes, couvertes de prés et de sapins, et nous circulons en plein centre de la vallée sous un ciel disons… écossais, comme la douche. Des nuages qui filent tout là-haut, quelques trouées de bleu parcimonieuses, et une température plutôt fraîche. Nous passons les ruines du château d’Invergarry, solitaires sur leur éperon. Dans la crique en contrebas, l’épave d’un joli bateau à demi submergé attend qu’on s’occupe d’elle.
Le Loch Oich s’achève par le pont Aberchalder, un autre bridge terriblement swing(3) comme on dit dans la chanson. Il est immédiatement suivi par l’écluse de Cullochy et sa jolie maison éclusière blanche et noire aux fenêtres à petits carreaux, comme on fait par ici. Sur le quai, des tourniquets pour manœuvrer les portes, en usage avant l’électrification, impeccablement entretenus. Pour s’amarrer, on fait passer la corde dans un crochet qui pivote. C’est assez pratique, mais moins aisé à enlever d’un coup de poignet. Enfin, on s’habitue.
Après l’écluse, un élevage de biches et de cerfs aux bois moussus, qui lèvent à peine la tête, tellement occupés qu’ils sont à tondre le pré, puis, après quelques minutes, l’écluse de Kytra, où habite Linda Gordon au milieu des lupins et des rhododendrons. Un personnage, Linda. Une carrure de lanceuse de troncs, de longs cheveux blancs noués dans le dos, elle fait passer les bateaux sous le regard de Tania, la chienne labrador. Elle remarque notre petit drapeau tricolore et lance un « Bonjour ! » tonitruant. Aussitôt nous lui demandons si elle parle français, et, en rigolant, elle nous assure qu’elle ne connait que « Bonjour, Au revoir, Merci et Ça va ? ». Elle nous donne de petites étoiles d’or collantes à placer sur nos gilets de sauvetage. Alors nous parlons rhododendrons, fleurs, canal, lacs, et bien sûr le sujet arrive sur Nessie. Elle prend l’air mystérieux et murmure : « Who knows ?… (4)». En partant, nous l’assurons qu’au retour, nous lui donnerons une page avec d’autres mots en français, et que nous reviendrons une autre année pour l’examen. Elle rigole. Puis nous filons vers Fort Augustus, escortés par des centaines de genêts en fleurs.