Le
lendemain, le paysage change petit à petit : les saules et les
roseaux peuplent les rives, la vallée s’élargit et
laisse la place à de vastes champs plats parsemés de grandes
maisons blanches d’un côté, et d’immenses étendues
de tournesols de l’autre. Les canards dorment toujours par colonies
entières sur la rive, et le Midi qui pointe le bout de son nez
se fait de plus en plus présent. La terre est plus sèche,
plus blanche, et les vignes font leur apparition. Sur les toits aux tuiles
rondes, des colombes roucoulent et se font les yeux doux, les ifs et
cyprès remplacent peu à peu les hêtres, bref, tout
cela flaire bon le soleil.
Les écluses
s’enchaînent, aux noms évocateurs : Guerre, La Peyruque,
La Criminelle…
La double écluse de Lalande propose une variante sur le thème du
bassin : après les trois premières portes qui ferment les bassins
ovales, un autre, rectangulaire, permet de se croiser à plusieurs et de
faire une escale reposante avant de franchir la dernière écluse
: Herminis. Tout cet appareil permet aux plus jeunes de se dégourdir les
jambes, et de faire un tour en vélo en toute sécurité,
au son des cigales.
En
milieu d’après-midi, nous entrons dans Carcassonne, dont
on aperçoit la ville médiévale au loin, en passant
sous un haut pont de pierre fleuri, puis en suivant un bout de canal
entre deux hauts murs. Nous sommes tombés sur la préparation
de la Fiesta y Toros. Au menu : taureaux, défilés, musique,
bals et insomnie garantie. Nous allons donc sagement nous accoster
un peu plus loin, dans une partie du canal à peu près
tranquille, très gentiment guidés par la responsable
du port. Nous fermons le bateau, et partons à la découverte
de la vieille ville.
Nous trouvons une navette à quelques minutes à pied
qui nous dépose en bas des murailles. L’impression est
garantie. Les enfants sont ravis et les « grands » aussi… Ce
n’est que le nez sur les murs que l’on réalise
le travail de restauration de Viollet-le-Duc. On imagine sans peine
tous les habitants en costume d’époque, les chevaliers
en armure, et les belles dames en haut des créneaux.
La foule est là,
elle aussi, et l’on a quelque mal à
se frayer un passage vers le haut de la cité : le château.
Carcassonne est classée au Patrimoine Mondial de l’Humanité,
à juste titre. Mais le sentiment un peu unique d’avoir
tout
à coup remonté le temps est un peu terni par la profusion
de boutiques pour touristes et de distractions pour gamins et grands
gamins. Nous croisons quelques brochettes de chevaliers d’un
mètre de haut, armés d’épées, de
haches et de casques en plastique. Les « souvenirs des remparts » succèdent
aux « troubadours », « vieux saloir » et «
arbalétrier ». Une « maison hantée » a
même ouvert ses portes dans une ruelle. C’est un Moyen-Âge
un peu américanisé qui sonne faux.
Nous nous échappons entre deux vieux murs, et parvenons sur
les remparts au soleil couchant. Le spectacle est époustouflant.
La vue porte à des kilomètres, et les bruits d’en
bas parviennent assourdis. Réconciliés avec le temps,
nous plongeons
à nouveau dans la foule, et découvrons quelques très
jolies boutiques, et un nombre impressionnant de restaurants aux ambiances
intimes et reposantes. Le confit est sublime,
bref, nous sommes heureux.
La
nuit recouvre les remparts, illuminés et magnifiques.
Il est temps de rentrer au bateau, entre deux averses… Nous demandons
un taxi au téléphone, qui doit nous prendre à l’entrée
de la vieille ville. Il ne viendra jamais, et c’est à pied
que nous retraversons l’Aude, avec la vision du Vieux Pont éclairé
comme une cathédrale. C’est splendide, et s’il n’y
avait pas encore quelques kilomètres à faire, nous nous
attarderions bien volontiers. Nous nous endormons, avec en sourdine
le bruit de la Fiesta, en rêvant aux vieux murs et à leurs
fantômes.
Le lendemain matin, marché ! Surtout ne pas rater une occasion
pareille pour se ravitailler en légumes, fruits, viandes et
poissons frais, se mêler aux senteurs et bruits d’un marché
du Midi, et acheter quelques produits locaux…
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