Mais
revenons à nos vacanciers.
La visite d’André, le technicien de la base Locaboat,
terminée (il leur a expliqué tout ce qu’il fallait
savoir sur le bateau, et même fait faire un brin d’essai
sur la rivière), ils ont rangé toutes leurs affaires à
une vitesse incroyable, et je n’ai eu que le temps de me glisser
dans un sac photo pour les accompagner faire une visite de la ville.
Tout cela m’intriguait beaucoup !
Après avoir longé les pontons de la base et les berges
de l’Yonne où se reflètent les ocres tendres et
clairs du pont et les ardoises du château des Gondi, nous avons
gravi des ruelles étroites peuplées de vieilles maisons
à pans de bois et de gamins joyeux. Soudain, une maison dont
le porche est gardé par deux tourelles : c’est l’Hôtel
Louis de Guidatti, gouverneur de la ville et du château de 1612
à 1643. Juste à côté, une autre maison, plus
austère : celle où séjourna Saint Vincent de Paul,
lorsqu’il était précepteur des enfants du Comte
Paul-Emmanuel de Gondi en 1613.
Arrivés sur une petite place où fleurit un platane, face
au Palais de Justice néo-classique du XIXème, s’élève
une petite église dédiée à Saint André,
ancienne prieurale Notre-Dame. Le mur sud date du moyen-âge (fin
du XIème siècle) et de la fondation du prieuré.
Moi, Nénesse, je dresse bien
haut mes yeux, que certains nomment aussi mes cornes – comme si
je ressemblais à une vache ! – pour observer la frise du
clocher, où est racontée l’histoire du saint. J’ai
à peine le temps de noter un ou deux détails intéressants,
que déjà nous repartons. Ces gens-là me donnent
le tournis.
Nous faisons le tour de l’église Saint-Jean, reconstruite
en pleine Renaissance, puis passons devant une école maternelle
qui sent bon son Jules Ferry, et arrivons devant le château des
Gondi, à l’architecture noble mais austère, commencé
sous Charles IX, fini sous Henri IV. Nous dépassons la Porte
Saint-Jean, vestige de l’enceinte du château, descendons
quelques marches, et face à nous, une maison à pans de
bois magnifique : la maison du Bailli. Cette demeure, comme les autres
que nous découvrirons un peu plus loin, fut construite au XVIème
siècle, après l’incendie de 1530 qui épargna
peu de chose de la cité bourguignonne.
Nous suivons la rue Montant au Palais et découvrons une placette
sur laquelle s’élève la maison « de l’Arbre
de Jessé », ainsi nommée en raison de l’arbre
généalogique du Christ, sculpté sur les pans de
bois de la façade sur plus de 4m de haut !
Quelques
mètres plus loin sur l’autre trottoir, une autre maison
à pans de bois sculptés et céramiques s’impose
à tout amoureux des vieilles pierres comme je le suis. Et croyez-moi,
en tant qu’escargot, j’en connais un rayon sur les pierres…
La multitude de têtes, d’animaux et de motifs floraux ouvragés
dans le bois évoquent l’époque où l’on
nommait encore les escargots « colimaçons », quand
même plus joli, vous avouerez ! Cette maison qu’habitait
un certain Martin Lebeuf, ouvre ses fenêtres sur la place du Pilori,
où étaient exposés les voleurs et les criminels
aux quolibets du public.
Juste à côté, une
vieille maison, elle aussi à pans de bois, affiche un cadran
d’horloge bloqué sur midi ou minuit, au choix.
L’église Saint-Thibault se dresse de l’autre côté
de la place. A cet endroit s’élevait en 1075 une chapelle
qui abritait les reliques du saint dont le nom fut ensuite donné
à tout le quartier. A l’intérieur se trouve une
statue de la Vierge au sourire charmant et énigmatique, et l’on
remarque aussi, au-dessus du portail d’entrée, une petite
statue représentant Saint Thibault, œuvre du sculpteur espagnol
Juan de Juni (Jean de Joigny). Autour, une guirlande de feuilles de
chênes et la sculpture de l’un de mes ancêtres colimaçons,
dont j’ai oublié le nom.
La légende raconte que la troupe
qui ramenait le corps du saint mort en Italie en 1056, afin qu’il
soit déposé à Sens à la demande de son frère
Arnould, fit hale à cet endroit pour y passer la nuit. Un bossu
resta la nuit entière à veiller et prier sur le corps
du saint, et au matin celui-ci exauça ses vœux. On ne dit
pas lesquels…
J’ai à peine le temps de noter tout ceci sur une feuille
que l’on repart déjà. Je vous jure que ces gens
m’en font baver…
Sur le quai, j’aperçois au fond d’une rue une «
réclame » vantant les escargots au beurre. Sauvages !
Nous retraversons l’Yonne au
crépuscule, au-dessus des reflets roses et bleus, et le petit
port de plaisance semble se reposer. Sitôt dans la péniche,
la joyeuse bande prépare le dîner, à l’abri
des rideaux du carré. Moi, je me sens de trop. Je me glisse subrepticement
hors du sac, et file à toute allure sur le pont. Je sens qu’il
y aura une averse cette nuit et ça tombe bien, j’adore
ça.