Le
lendemain matin, après les croissants, le bateau s’ébroue.
Nous rentrons dans l’écluse de Saint-Florentin. Le photographe
descend, moi avec, et j’observe la manœuvre.
L’équipage jette avec maestria les aussières, rattrapées
par l’éclusière, et fermement tenu, le bateau commence
son ascension. Le niveau atteint, les portes s’ouvrent, l’une
après l’autre, et la péniche s’engage sur
un pont sous lequel coule la rivière Armance, petit affluent
de l’Armançon. Je me penche un peu, pour voir, et me recule
aussitôt. Il faut dire que j’ai le vertige, un cas assez
rare chez les escargots, mais je tiens ça de mon trisaïeul
Ernest Cargo, qui travaillait dans les catacombes.
Le bateau passe lentement devant moi,
et nous le rejoignons quelques mètres plus loin. Quelle aventure
!
Du coup, je remonte avec le fameux sac photo, et m’installe vite
fait sur le pont supérieur. Je coiffe mon célèbre
feutre noir, et observe tout ce qui arrive. Deux pêcheurs, qui
me voient passer, sont complètement interloqués.
Tandis que nous descendons lentement le canal, je m’interroge.
Pourquoi donc ces quatre énergumènes ont-ils choisi de
voyager ainsi, à la vitesse d’un homme qui marche (vite,
quand même), alors que tant de moyens plus rapides pour arriver
à destination existent ? Pourquoi visitent-ils systématiquement
les villes dans lesquelles ils s’arrêtent ? Que cherchent-ils ?
Mènent-ils, eux aussi, une enquête ? Mon flair légendaire
aura tôt fait de résoudre ce mystère, je ne me fait
pas de souci là-dessus. Mais quand même, ça me travaille…
L’écluse de Germigny arrive, avec ses hauts murs de pierre;
Encore une fois, l’équipage fait passer les aussières
en boucle autour des bittes d’amarrage, et maintiennent le bateau
pendant que le niveau se fait dans le bassin. Le couple d’éclusiers
ouvre ensuite les vannes, puis les portes lorsque le niveau est au plus
haut. Les équipiers font alors coulisser les aussières
et les récupèrent à bord, et le bateau repart au
milieu du vert. Toute cette nature, ça affole mes sens.
A l’écluse d’Egrevin, c’est Patrice, l’éclusier
qui nous reçoit. Il montre au photographe comment fonctionne
l’écluse, et le laisse manipuler les bras d’ouverture
des portes.
Pour ceux que cela intéresse,
voici le déroulement de la manœuvre : une fois le bateau
entré dans l’écluse et les portes fermées,
on ouvre la vanne du côté où le bateau est amarré,
ce qui a pour effet de repousser le bateau vers le bord, et bien sûr,
de laisser rentrer l’eau dans le bassin. La vanne doit être
ouverte à moitié. On ouvre ensuite l’autre vanne,
à moitié aussi. Lorsque le niveau est arrivé à
hauteur des vannes, on les ouvre complètement. Quand le niveau
est atteint dans le bassin, on ouvre les portes entièrement.
L’équipage remonte à bord avec quelques bonnes
bouteilles de Chablis et d’Epineuil rouge (une bonne idée),
et nous repartons.
Des vaches me lorgnent d’un pré voisin. Ce doit être
le chapeau… Je me suis toujours méfié de ces animaux.
Quand elles broutent, un coup de langue, et hop ! direction l’estomac.
Ce sont des herbivores, comme moi, mais une erreur est si vite arrivée…
L’étrave fend avec douceur l’eau-miroir, et nous
croisons quelques belles demeures. Soudain, je vois sur la rive mon
ennemi juré : un héron, à qui ma famille et quelques-uns
de mes amis ont payé un lourd tribu. Magnifique, mais très
dangereux. Enfin… pour un escargot, parce que je vois mes nouveaux
amis (je peux bien les appeler comme ça maintenant, et il faut
dire que je me sens davantage en sécurité ave eux que
sur la berge) s’extasier sur l’animal et son envol. Ils
sont décidemment inconscients !
Les oiseaux s’égosillent à qui mieux mieux, surtout
un merle qui chante l’arrivée du soir.
Il ne fait pas une chaleur de four à cette heure-ci, mais tout
le monde a enfilé un pull-over, et c’est assez supportable.
Juste avant l’écluse de Flogny, le « Vénarey
» s’arrête pour faire le plein d’eau à
un petit quai où est déjà attaché un bâtiment
magnifique. Il s’agit de deux anglais charmants qui descendent
vers Narbonne via le canal, puis la Saône. Ils ont acheté
« La Perle » pour que leur chat ait de la place… Voilà
des gens qui aiment les animaux !
Quelques
hérons (il y en a décidemment beaucoup) et quelques magnifiques
champs de colza en fleurs plus tard, nous accostons face à un
château XVIIème, splendide, dont nous ne saurons jamais
le nom… Le Grand Meaulnes ne semble pas si loin ! Nous y
passons la nuit, entre un grand saule et un prunus tout rouge.