Le
lendemain matin, très tôt, vers 10-11 heures, je suis réveillé
par le ronronnement du moteur. Ils sont partis sans prévenir,
et moi je me retrouve comme un idiot, au milieu de nulle part, sans
avoir pu prévenir qui que ce soit. Je dresse un tentacule et
jette un œil, et qu’est-ce que je vois… l’entrée
du Canal de Bourgogne, juste avant Migennes !
Je connais l’endroit comme ma poche gauche, par des cousins à
moi qui avaient voulu se faire engager dans un restaurant, les imbéciles.
Je savais qu’il ne fallait pas louper l’endroit, parce qu’on
ne le voit pas bien. Mais, en jetant l’autre œil dans le
carré, je vois le photographe et le capitaine penchés
sur la carte fluviale de la pénichette.
Je me dépêche de m’extraire du seau où j’avais
passé la nuit, et déjà, l’écluse de
Laroche s’éloigne derrière nous. Pas même
le temps de regarder le paysage ! Il faut avouer qu’il n’y
a pas grand-chose à voir, par ici, sinon la gare de triage et
quelques locomotives rigolotes qui ressemblent à des jouets pour
adultes.
Le TGV nous dépasse à
vive allure, et nous salue de sa sirène. Opposition de deux univers…
Mes plaisanciers vont un train d’enfer, justement. Au moins 7
ou 8 km/h. On franchit toute cette portion du canal en ligne droite
ou presque sans coup férir, mais avec quelques écluses,
toutes manœuvrées à la main, et on se retrouve à
Saint Florentin en un rien de temps, quelques heures à peine,
après avoir croisé les pêcheurs habituels qui taquinent
le goujon sur les berges.
L’arrivée sur la cité où les fromages sont
rois, mais tellement difficiles à trouver en boutique, est assez
spectaculaire : le miroitement de l’église Saint-Florentin
sur fond d’arbres verts fait un peu penser à une sorte
de Mont Saint-Michel fluvial, reflété dans les eaux du
canal.
Le « Vénarey » est bientôt amarré à
la berge du canal, et je vois mes compagnons se préparer. Je
sens que l’équipée d’hier soir va se reproduire,
alors je fonce derechef vers le sac photo, et je me laisse emmener vers
la ville entre les objectifs et les pellicules. Quelle est donc cette
chose qui les motive tant pour qu’ils bougent pareillement ?
Aux
abords de la ville se dresse, toute raide, une étrange maison
au toit d’ardoises pentu et aux balcons de fer forgé rouillés.
L’étrange atmosphère qui se dégage de cette
bâtisse a quelque chose d’Hitchcockien. On la sent peuplée
de souvenirs et de fantômes… Heureusement, le porteur du
sac ne s’arrête pas, et nous pénétrons dans
la ville sous la protection de la Tour des Cloches, du XIIème
siècle, la seule qui reste de l’ancienne enceinte.
Nous
grimpons jusqu’à l’église, où sont
conservées les reliques du saint qui a donné son patronyme
à la ville. Sa construction, retardée par la guerre de
Cent Ans qui sévissait alors, commença en 1376 pour s’achever
en 1614, sous la régence de Marie de Médicis. Pour les
fanatiques des dates, notez que c’est en 1614 qu’eut lieu
la dernière réunion des Etats Généraux avant
la Révolution…
A l’intérieur, c’est un véritable enchantement
: Les statues de l’Ecole Troyenne du XVIème siècle,
les décors sculptés, les vitraux, l’autel, tout
ici tire l’œil par sa légèreté, sa grâce,
son élégance. Voilà ce qui fait le plaisir des
découvertes inattendues.
Quelques belles maisons anciennes plus tard, nous finissons notre tour
de l’église, et nous voilà face à une jolie
fontaine renaissance. Je viens de repérer un motif gravé
me représentant au milieu de trois griffons de bronze. Je dois
dire que, toute modestie mise à part, je me trouve très
beau. Si j’avais des chevilles, elles enfleraient…
Ce
petit édifice est en fait la reproduction d’une fontaine
créée début XVIème, qui ponctuait le centre
de la vie Florentinoise jusqu’à sa démolition en
1859. Les personnages qui décorent le chapiteau sont Adam et
Eve tous nus, Sainte Beate et un dragon, Sainte Barbe et la tour où
elle était enfermée, Saint Martin, ancien patron de la
paroisse, habillé en évêque, et bien entendu Saint
Florentin en armure, avec le soleil sur son écu.
Nous terminons notre tour de ville sur un éperon face à
une mer de toits de tuiles rouges de laquelle émerge l’église.
C’est sur cet éperon que fut construit au XIème
siècle un couvent de Chanoines et d’Hospitalières,
qui disparut avec la révolution. Un petit kiosque charmant ponctue
le lieu, et de là, un point de vue splendide dévoile Saint-Florentin
et sa région.
Notre petite troupe redescend vers le bateau, et je reste dans le sac
photo pour y passer la nuit.