Le
lendemain matin, un taxi vient nous chercher (je fais partie de la bande,
maintenant) à l’heure dite pour nous transporter à
l’Abbaye de Fontenay, fondée en 1118 par Saint Bernard
(le rédacteur de la règle des Templiers), et classée
au patrimoine Mondial de l’UNESCO. Un marronnier immense accueille
le visiteur au centre de l’Abbaye. S’il pouvait parler…
Il raconterait peut-être l’histoire
de ces douze dissidents de Cluny qui vinrent là au tout début
du XIIème siècle défricher un marécage perdu
au bout d’un vallon de Bourgogne, pour se retrouver, pour retrouver
la règle de Saint-Benoît, qu’ils estimaient dévoyée
par ceux de Cluny. Il raconterait aussi ce jour de 1147 où le
pape Eugène III consacra l’église de la petite communauté,
après 29 ans de travaux épuisants. Dès lors, ce
fut le succès. Jusqu’au XVIème siècle, plus
de 300 moines et convers habitèrent les murs de pierres blanches.
Hélas, la cupidité de certains abbés et les guerres
de religion allaient faire péricliter la belle idée.
A la révolution, l’abbaye
fut vendue… au descendant des célèbres frères
Montgolfier qui la transforment en papeterie. En 1906, les nouveaux
propriétaires entreprennent des travaux énormes de restauration
pour redonner à Fontenay son aspect initial. Et ils y réussissent
! L’abbaye est classée au Patrimoine Mondial par l’UNESCO
en 1981.
La visite commence par un pigeonnier,
car les moines avaient « droit de pigeon », c’est
à dire la possibilité de communiquer, ce qui à
l’époque n’était pas rien. Ils avaient d’ailleurs
aussi droit de haute et basse justice sur leurs terres, comme les seigneurs.
L’église abbatiale est l’une des plus anciennes églises
cisterciennes de France. Les nombreuses fenêtres, toutes habillées
de vitraux à motifs géométriques ou floraux (la
règle de St Benoît imposait un dénuement total,
même à la décoration) bai gnent de clarté
l’édifice éclairé à l’époque
par seulement 5 chandelles (St Benoît oblige) ; il était
donc nécessaire de privilégier la lumière.
Dans le chœur, au sol, un pavage
de carreaux émaillés du XIIIème, qui donne une
idée du sol de l’église au temps de sa splendeur,
avant que les moines ne vendent lesdits carreaux pour subsister. Egalement
dans le chœur, quelques magnifiques pierres tombales, et le caveau
du seigneur de Mello d’Epoisses et de son épouse. Enfin,
pure merveille, Notre-Dame de Fontenay et l’enfant Jésus,
se souriant l’un l’autre, travail d’un sculpteur anonyme
de la fin du XIIIème.
Un groupe d’allemands est arrivé sous la voûte, et
entonne plusieurs airs sacrés, profitant de l’extraordinaire
acoustique du lieu. C’est magique, et l’on s’attarde
en songeant à ceux qui chantaient là, glorifiant le Seigneur,
il y a quelque 800 ans.
Nous grimpons au dortoir par un escalier
de pierres, pour admirer la charpente ronde en chênes de la salle,
fabriquée au XVème par des charpentiers de marine : au
centre, un trou rond. C’est l’emplacement du mât.
La salle capitulaire, à la double croisée d’ogives,
communique avec le scriptorium. De là, une petite porte ouvre
sur le chauffoir, seul endroit avec la cuisine où l’on
pouvait faire du feu.
Le charmant cloître, dont chaque galerie comporte huit travées,
aux arcs en plein cintre, invite à la méditation. Les
galeries possédaient toutes leurs fonctions : Au Nord, la spiritualité,
à l’Est, la vie communautaire (elle conduit vers le chapitre
et la salle capitulaire), au Sud, les fonctions corporelles (vers les
salles où les moines se lavaient), et le Sud était réservé
aux frères (et sœurs) convers.
En
traversant le jardin, on entre dans la forge, adossé à
la rivière, où les moulins (XIIème) actionnaient
soufflets et martinets pour battre le fer. En observant les pilers,
on remarque des signes de bâtisseurs de l’époque,
humbles signatures anonymes des maîtres artisans.
Au musée, siège de l’ancienne boulangerie et de
la chapelle des visiteurs, parmi de nombreuses œuvres d’art,
la Bulle du pape Alexandre III de 1168, qui installe l’Abbaye
de Fontenay « dans toutes ses possessions et privilèges
», et cette phrase de Saint-Bernard : « On apprend plus
de choses dans les bois que dans les livres. Les arbres et les rochers
vous enseigneront des choses que vous ne sauriez entendre ailleurs.
»…
Ce n’est certainement pas moi, Nénesse Cargo, qui dira
le contraire !